-
Professeur Herbert Marcuse -
"Je
voudrais dire deux mots sur le droit de résistance,
parce que je découvre avec stupeur que personne n'est
vraiment profondément conscient du fait que la
reconnaissance de ce droit (la civil disobedience
en l'occurrence) constitue l'un des éléments les plus
anciens et sacrés de la civilisation occidentale. L'idée
qu'il existe un droit supérieur au droit positif est
aussi vieille que cette civilisation elle-même. Ce
conflit entre deux Droits, toute opposition qui dépasse
la sphère privée le rencontre. L'ordre établi détient
le monopole légal de la force et il a le droit positif,
l'obligation même d'user de cette violence pour se défendre.
En s'y opposant, on reconnaît et on exerce un droit
plus élevé. On témoigne que le devoir de résister
est le moteur du développement historique de la liberté,
le droit et le devoir de la désobéissance civile étant
exercé comme force potentiellement légitime et libératrice.
Sans ce droit de résistance, sans l'intervention d'un
droit plus élevé contre le droit existant, nous en
serions aujourd'hui encore au niveau de la barbarie
primitive."
(Conférence
: Le problème de la violence dans l'opposition, Juillet
1967)
|
Ce
texte nous intéresse:
Si
le droit naturel bouscule le droit positif, c'est que, pour
l'auteur, le droit naturel est supérieur parce qu'il sert la
liberté de l'homme: la légitimité du droit
naturel tient à son point de vue moral, à son combat pour la libération
contre toute forme de barbarie.
Le droit positif, pour Marcuse, n'a pas comme fin le bien de tous
et perd donc sa légitimité devant le droit
naturel qui s'élève contre lui au nom de l'homme, sujet moral et
sujet de droit.
Que le droit positif ait pour lui la force induit la nécessité
pour le droit naturel de s'armer de violence pour ne pas disparaître:
il y a donc un affrontement d'une violence de l'oppression et
d'une violence de la libération.
Quel paradoxe! Si la violence de la libération est légitime,
elle est pourtant illégale; s'il y a une légalité
de la violence du droit positif, elle est pourtant illégitime.
En, conséquence dans le heurt de la violence particulière et de
la violence institutionnelle, la violence particulière sera
toujours battue "tant qu'elle n'a pas réussi à son tour
à affirmer une nouvelle universalité contre l'ordre existant."
(Marcuse).
On remarquera le glissement, dans les expressions de Marcuse, de
la force à la violence: cette confusion entre la force au service
du droit théoriquement pour tous et par tous et la violence au
service des appétits n'est pas innocente. Mais, qu'est-ce qui a
transformé la force en violence?
C'est
le problème de la non violence qui est posé: la non violence est
récusée sous prétexte que l'action non violente ne fait que
renforcer la violence de l'ordre existant. C'est que le novateur,
ici le pouvoir intellectuel n'est rien sans la force disait
Machiavel instruit par le sort de Savonarole. Pour Marcuse, le
particulier ne peut accéder à la force/violence de la légalité:
il ne peut exercer qu'une violence universalisée, partagée,
seule capable de modifier l'ordre existant.
On voit donc en quoi Machiavel est à la fois réfuté et conservé:
Réfuté, car le moteur de la libération est bien la morale qui
conçoit une autre politique; conservé car selon la citation de Pétrarque
qui termine Le Prince: "Vertu contre barbarie s'armera."
La
pensée doit informer le politique: ce qui doit être, doit être
réalisé. Et ce qui est ne saurait instruire sur ce qui doit être.
Moins d'un an après, ceux qu'on a appelé "la génération
de 68" vont suivre cette pensée, comme si les affrontements
ne renforçaient pas l'adversaire, comme si la violence exercée
contre les enseignants n'ouvraient pas les portes à la régression
et à la barbarie, comme s'il était possible de transformer un échec
en succès en changeant de plan, en glissant de la politique à l'éducation
d'une génération qui sera désorientée parce que sans frontière
ni loi, pour avoir cru que le père peut être un copain par
exemple.
Entre
le 10 et le 13 Juillet 1967, la conférence de Marcuse d'où est
tirée ce texte commence par: "Il faut envisager toute
opposition aujourd'hui globalement dans le contexte mondial."
Qui en doute, 33 ans après?
Par J. Llapasset |