"Ces
frontières je les vois, pour ma part, aux deux extrémités
de l'évolution: l'origine des premiers systèmes
vivants d'une part, et d'autre part le fonctionnement du
système le plus intensément téléonomique qui ait
jamais émergé, je veux dire le système nerveux
central de l'homme. Dans le présent chapitre, je
voudrais tenter de délimiter ces deux frontières de
l'inconnu...
L'énigme demeure, qui masque aussi la réponse à une
question d'un profond intérêt. La vie est apparue sur
la terre: quel était avant l'événement la
probabilité qu'il en fût ainsi?...
Instrument d'anticipation s'enrichissant sans cesse des
résultats de ses propres expériences, le simulateur
est l'instrument de la découverte et de la création...
Si nous pouvons deviner l'existence de ce merveilleux
instrument, si nous savons traduire, par le langage, le
résultat de ces opérations, nous n'avons aucune idée
de son fonctionnement, de sa structure. L'expérimentation
physiologique est, à cet égard, presque impuissante
encore. L'introspection, avec tous ses dangers, nous en
dit malgré tout un peu plus. Reste l'analyse du langage
qui cependant ne révèle le processus de simulation
qu'au travers de transformations inconnues et
n'explicite sans doute pas toutes ces opérations.
Voilà la frontière, presque aussi infranchissable pour
nous qu'elle l'était pour Descartes... La notion de
cerveau et celle d'esprit ne se confondent pas plus pour
nous dans le vécu actuel que pour les hommes du XVIIème
siècle." (Jacques Monod, Le hasard et la nécessité
, Seuil, page 156, 160, 172)
|
Première
et deuxième frontière.
-
-
Dans le chapitre VIII de son livre, Le
hasard et la nécessité (1970), le professeur Jacques
Monod cerne deux frontières, celle de l'origine du code et
celle du fonctionnement cérébral, du rapport entre le
cerveau et l'esprit. A ces deux frontières se heurtent la
curiosité et le désir. Ces frontières sont à la fois celle
d'une Nature et d'un Monde qui se révèlent irréductibles.
-
-
La première frontière est l'explication de
la structure du code: quel processus causal l'a produite,
quelle est son origine? Deux hypothèses sont proposées l'une
vérifiable, l'autre non:
Soit
les liaisons sont induites par une affinité, ce qui explique la
structure du code par une raison.
Soit les liaisons
sont le fruit du hasard.
Y
aurait-il une troisième frontière?
Jacques
Monod reprend la définition du hasard donnée par Cournot. A la
lumière du texte de Cournot (aller
à Cournot -ouverture en nouvelle fenêtre) qui
distingue la Nature et le Monde, demandons-nous si deux types
d'intelligibilité, deux idées peuvent produire autre chose que
des objets absolument irréductibles l'un à l'autre. Autrement
dit, les deux frontières de la biologie seraient en fait produite
par la dualité des perspectives, des points de vue qui rendraient
des objets distincts et définitivement irréductibles: ces deux
frontières n'auraient donc pas pour origine la réalité. Il est
vain dirait Cournot de croire que les progrès faits par un point
de vue peuvent avoir pour résultat de réduire l'autre type
d'intelligibilité à la première.
La vraie frontière
n'est-elle pas le refus de l'écart dans lequel l'altérité se
constitue comme définitivement irréductible. N'est-ce pas
l'origine des frontières entre les sciences? Entre les hommes?
Par J. Llapasset |