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COURNOT -
"La
CURIOSITÉ de l’homme n’a pas
seulement pour objet l’étude des lois et des forces
de la Nature; elle est plus promptement encore
excitée par le spectacle du Monde, par le désir
d’en connaître la structure actuelle, les révolutions
passées et, s’il se peut, les destinées futures. Ce
peu de mots suffit déjà pour faire sentir en quoi
l’idée de Nature diffère de l’idée du Monde, et
pourquoi il y a lieu de distinguer entre la série des
sciences physiques et la série des sciences cosmologiques.
La physique proprement dite, dans ses branches si
multiples, la chimie, la cristallographie sont des
sciences de la première catégorie ce sont celles
auxquelles s’applique en toute rigueur ce que les
anciens disaient de la science en général, qu’elle
n’a jamais pour objet le particulier, l’individuel.
Au contraire, l’astronomie, la géologie (comprenant
ce qu’on appelle de nos jours la physique du globe et
la géographie physique) doivent être rangées sous la
rubrique des sciences cosmologiques; et à coup sûr on
ne les en estime pas moins, pour s'occuper d'objets
particuliers ou individuels, tels que le soleil, la voie
lactée, l'anneau se Saturne, la lune ou la terre."
Cournot,
Traité de l'enchaînement des idées fondamentales
dans les sciences et dans l'histoire.
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Il
ne faut pas croire que Nature et Monde sont deux objets distincts
vers lesquels se tournerait successivement un science souveraine.
Ce ne sont que des idées, des perspectives ou points de vue, ce
qui les distingue définitivement et qui rend vain tout effort
pour les réduire l'un à l'autre: deux approches irréductibles.
L'écart est déjà dans leur origine: la curiosité ouvre sur la
nature, le retour du même comme déterminisme ou ensemble de
lois, la satisfaction d'un savoir arraché au temps.
Le désir qui porte sur le devenir car il ne saurait être comblé
puisqu'il vit d'un manque éprouvé. C'est l'ouverture au temps:
le monde est monde du désir, de l'histoire comme catégorie qui
embrasse bien plus que le devenir des sociétés humaines.
Si cette distinction est pertinente, elle permet de distinguer
deux sortes de sciences sans espoir de les réduire: l'écart ne
naît pas d'une distinction d'objet mais du type d'intelligibilité
induit par la curiosité ou le désir.
C'est dire que la réalité de l'être est au delà des méthodes
scientifiques et que toute science s'oriente par une sorte de précompréhension
prédéterminante, soit vers l'explication par des lois "de
la Nature" soit vers le devenir qui permettrait de rendre
compte de l'état présent du monde. Il faut donc abandonner l'idée
de rabattre la structure d'une constellation sur la structure
chimique d'une molécule, de réduire le désir à une simple
curiosité comme si à partir du l'universel abstrait on pouvait
rejoindre l'individuel.
"La
détermination représente donc en quelque façon
"l'obstacle" contre lequel notre pensée vient buter,
qu'elle doit dépasser lorsqu'elle veut se donner à elle même la
vérité. Supposons que, sans prendre clairement conscience de ces
dangers nous nous en tenions à cette connaissance du déterminé.
Nous savons que notre pensée doit porter sur une réalité donnée
en elle même, nous suivrons donc l'instinct réaliste, et nous
identifierons arbitrairement le réel avec les points de vue sous
lesquels nous pouvons le considérer."
Aimé Forest, Du consentement à l'être, Aubier page 85
C'est
dire que Nature et Monde ne sont que des approches différentes
d'une réalité concrète qui leur échappe. Serait-ce que cette réalité
concrète exige un dépassement de l'idéalisme et en particulier
de cette affirmation de Hegel que le concret n'est tel que par
l'abstrait: donner la priorité à l'abstrait, n'est-ce pas
se condamner à "inventer" une réalité abstraite.
Peut-être que l'échec de l'idéalisme vient de ce qu'on ne met
pas en question la conversion qui est refus provisoire de l'être
et qu'il faudrait envisager une autre démarche qui serait décision
de la pensée et d'abord consentement à l'être:
"Mais
le monde est présent et actuel, il défie toute la vanité de nos
construction; dans cette présence immédiate que nous ne pouvons
pas nier mais dont nous cherchons simplement à trouver le vrai
principe, il est lui même la garantie de la valeur de nos systèmes...
Lorsque nous aurons réussi à reconquérir l'être concret comme
objet, le consentement de la pensée à l'être nous délivrera de
la résistance que la détermination oppose aux progrès de notre
pensée."
Aimé Forest, Du consentement à l'être, Aubier page 80
et 86.
Par J. Llapasset |