° Rubrique lettres  

Auteur

George SAND 

Bicentenaire de sa naissance: 1804-2004 

La Marquise (1835)

par Joseph Llapasset


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Perspectives pour un texte fondamental

- L'œuvre de George Sand n'est qu'un seul et grand texte dans lequel, en se débattant dans ses limites qui sont les nôtres, en se heurtant à l'impossibilité de la passion, en éprouvant le dégoût devant la société des hommes, elle reste fascinée par l'écriture, singulièrement par l'écriture théâtrale qui joue du rythme et des sonorités, du sensible et de l'intelligible, qui a la puissance de figurer aux yeux des spectateurs cette vraie vie que la réalité de l"existence leur refuse toujours.
Lisons ce texte à voix haute pour nous laisser emporter par la musique qui multiplie les rythmes ternaires, trois temps dont le second et le troisième marquent un élargissement par rapport au précédent. Apprécions tout l'art d'un maître sonneur.

  Lélio était petit et grêle; sa beauté ne consistait pas dans les traits, mais dans la noblesse du front, dans la grâce irrésistible des attitudes, dans l'abandon de la démarche, dans l'expression fière et mélancolique de la physionomie. Je n'ai jamais vu dans une statue, dans une peinture, dans un homme, une puissance de beauté plus idéale et plus suave. C'est pour lui qu'aurait dû être créé le mot de charme, qui s'appliquait à toutes ses paroles, à tous ses regards, à tous ses mouvements.
Que vous dirai-je? Ce fut, en effet, un charme jeté sur moi. Cet homme, qui marchait, qui parlait, qui agissait sans méthode et sans prétention, qui sanglotait avec le cœur autant qu'avec la voix, qui s'oubliait lui-même pour s'identifier avec la passion; cet homme, que l'âme semblait user et briser, et dont un regard renfermait tout l'amour que j'avais cherché vainement dans le monde, exerça sur moi une puissance vraiment électrique; cet homme, qui n'était pas né dans son temps de gloire et de sympathies, et qui n'avait que moi pour le comprendre et marcher avec lui, fut, pendant cinq ans, mon roi, mon dieu, ma vie, mon amour. (La Marquise)

Texte de référence: Édition MILLE..ET.UNE.NUITS  (page 25).


George Sand par Delacroix. 1838

- "Les beautés qui sont plus dans la physionomie que dans les traits." (Rousseau).

Lélio, c'est le masculin de Lélia. La Marquise (1835) paraît entre Lélia, première publication en 1833 et Lélia, deuxième publication en 1839.

- Remarquer la quasi disparition du corps, "petit et grêle", au profil de la physionomie qui symbolise les qualités morales de noblesse (courage), de relations  (la grâce suggère la sympathie), de confiance en soi et en autrui (abandon de la démarche = absence de composition, confiance), de la fierté (majesté du port, conscience de sa dignité), de la mélancolie qui trouve son bonheur dans la tristesse. Lélio invite donc aux  fêtes de l'amitié, de l'esprit et non aux fêtes du corps, ce qui préfigure l'impuissance finale du récit: il n'y aura pas de "consommation": "Ce n'était plus que Lélio, l'ombre d'un amant et d'un prince." (page 53).

- Physionomie: c'est bien le caractère original et expressif d'un visage indépendamment de la beauté.
Le texte nous fait assister à la naissance d'une passion pour Lélio ce  miroir des valeurs qui, par là, suscite le désir.

- Statue, peinture, homme: noter la gradation vers la vie et rythme ternaire. L'absence de distinction naît de la participation à l'idée, à l'absolu. L'homme reflet de l'absolu.

- Une puissance: une force efficace qui a une action sur un objet.

- Idéale et suave: Harmonie de la valeur et du sensible, qui procure une satisfaction, un transport, de l'esprit et des sens, qui réconcilie ce qui d'ordinaire se contredit et s'exclut. Le plaisir du beau semble satisfaire le désir, dans l'existence représentée, pour la plus grande joie de la vue et de  l'ouïe, et pourtant dans une distance qui ne sera jamais franchie.

- Charme: terme clé dans l'œuvre de George Sand: ce qui endort les puissance de résistance du spectateur, ce qui séduit, captive, capture par une sorte de magie, d'incantation. Rapprocher le charme de la grâce.

- Qui s'appliquait: s'ajustait  parfaitement: tout: sans exception.

- Paroles, regards, mouvements: noter l'harmonie des contraires: la parole qui se nourrit de silence, de respiration; le silence toujours bruissant de paroles; la succession des mouvements comme dialectique du même et de l'autre, conciliés, mis en sympathie par la grâce et le charme qui semblent se déplacer vers tous et en particulier vers la Marquise comme autant d'élans  esquissés, offres  d'une rencontre. Le charme est d'abord grâce, c'est à dire orientation vers autrui, absence de ruptures, de saccades qui inquiéterait, "abandon de la démarche", confiance qui circule.

- Que vous dirai-je: comment exprimer cela? Ce coup de foudre qui passe par la vue, par l'ouïe, cet étonnement?
- Ce fut: au passé simple, comme dans La princesse de Clèves (Madame de Lafayette)où dans Phèdre (Racine)..
- Jeté: comme un sort, par magie: elle est envoûtée, pour ainsi dire.

- marchait...: après une succession d'imparfaits qui marque l'emprise du temps surgit  le passé simple:"exerça". La Marquise sort du temps et accède à l'éternité (apparente?) de la passion. (voir un peu plus bas: pendant cinq ans!)
- électrique: qu'ajoute ce terme? Que suggère-t-il?

- Qui n'était pas né dans son temps de gloire: comprendre qu'il n'était pas reconnu pleinement par l'époque, il était en avance, pour ainsi dire. En quoi ressemble-t-il à la Marquise? A tous les romantiques? Des incompris?

- N'avait que moi: parce que c'était lui, parce que c'était moi. N'avait que moi pour le reconnaître. tout coup de foudre est d'abord une reconnaissance. Qu'est-ce que cela suggère sur la passion?

- fut: Enchâssé entre deux virgules. Pourquoi? Étonnez-vous! La Marquise devait employer le passé composé: a été. Si elle préfère le passé simple, n'est-ce pas pour marquer la durée? L'être qui échappe au temps? La Marquise a-t-elle tourné la page? Pourquoi non? S'il n'y a pas eu consommation, réalisation, cohabitation... la page peut-elle être tournée?

- Mon roi: qui régna, qui gouverna sur moi.
- Mon dieu: est-ce encore un homme? Dieu seul suffit.
- Ma vie: ma raison de vivre, pas de vie si je ne le vois pas.
- Mon amour: "La bonheur se révélait à moi..." (page 27)

- Si nous nous projetons dans les dernières lignes de l'œuvre (page 53), nous serons peut-être étonné du dernier regard que la Marquise portera sur Lélio:

  Le désespoir l'avait brisé. Il était redevenu vieux, décomposé, effrayant. Son corps semblait paralysé; sa lèvre contractée essayait un sourire égaré, son oeil était vitreux et terne: ce n'était plus que Lélio, l'ombre d'un amant et d'un prince. (La Marquise)

Texte de référence: Édition MILLE..ET.UNE.NUITS   (page 53)

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