"J'appelle
libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité
de sa nature; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à
exister et à agir d'une certaine façon déterminée.
Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement
parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi
Dieu se connaît lui-même librement parce qu'il existe par la seule nécessité
de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît
toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa
nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais
pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité.
Mais descendons aux choses créées qui sont
toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir
d'une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et
intelligible, concevons une chose très simple: une pierre par exemple
reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de
mouvement et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle
continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre
dans le mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire,
mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure.
Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose
singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui
attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que
toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause
extérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la
pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle
fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément,
puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en
aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle
ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut."
Spinoza (Lettre à Schuller, LVIII)
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Plan possible de
votre devoir:
Première
partie: faire apparaître le sens du texte à partir de
la détermination des concepts. Bien souligner le mouvement du
texte et sa rigueur (cf. page précédente)
Deuxième
partie: souligner les intérêts du texte.
Par
exemple:
-
La critique du libre arbitre. Il faut bien admettre que l'évidence
de liberté accompagne l'ivrogne ou l'aliéné qui est incapable
de maîtriser ses impulsions. L'évidence n'est pas un critère de
vérité: il est évident pour moi que je conduis bien, quand je
suis grisé par l'alcool et par la vitesse ...
-
On peut échapper à certaines contraintes par la connaissance,
mais on n'échappe pas à la nécessité comme développement de
sa nature. Désirer ne pas désirer c'est encore un désir!
Troisième
partie: on peut s'interroger sur cette pierre qui ferait
effort (a) ...
Si rien n'échappe à Dieu, on ne peut plus parler de création,
mais d'émanation: c'est la possibilité d'une responsabilité
qu'il sera difficile de fonder.
Pour
une conclusion:
Bilan
- La liberté, ce n'est pas agir par les décrets d'un libre
arbitre: la liberté consiste à être et à agir par la seule nécessité
de sa nature.
C'est donc la connaissance qui est le chemin de la liberté, dans
la mesure où elle nous permet de distinguer ce qui dépend de
nous et ce qui ne dépend par de nous.
Élargissement
- Le problème de la création des vérités éternelles.
Dans
la lettre au père Mesland du 2 Mai 16644 (Pléiade page 1167)
Descartes affirmait: "Encore que Dieu ait voulu que
quelques vérités fussent nécessaire (par exemple: les
trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits), ce
n'est pas dire qu'il les ait nécessairement voulues car c'est
tout autre chose de vouloir qu'elles fussent nécessaires, et de
le vouloir nécessairement ou d'être nécessité à le vouloir."
Pour Descartes, les vérités théoriques (par exemple les
contradictoires ne peuvent être ensemble) ont une origine dont
elles procèdent: elles ne sont donc pas ce qui permet de connaître
Dieu, c'est dire que l'intelligibilité est dépassée par Dieu,
que Dieu ne peut être compréhensible à partir de ce qu'il crée:
cette distance exclut le panthéisme: il n'y a
pas de pont entre l'infini mathématique et l'infini divin. Comme
le Dieu de Spinoza Dieu n'agit que par rapport à lui même (Éthique,
App. & 64).
Au
contraire, dans ce texte, Leibniz pense qu'il ne peut y avoir de
volonté sans raison: une décision immotivée ne peut être louée:
il serait d'ailleurs contradictoire de louer deux attitudes opposées.
Toute volonté présuppose la représentation du résultat que
l'on attend de l'action, suppose donc quelque raison de vouloir.
Dire que Dieu connaît les choses en même temps qu'il veut
revient à dire qu'il les veut sans les connaître. (cf. Leibniz,
Lettre à Molarius: "Le Dieu de Descartes n'a pas de
volonté ni d'entendement, puisque, selon Descartes, il n'a pas le
Bien pour objet de la volonté ni le Vrai comme objet de
l'entendement.")
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