Thèmes
concernés: L'imaginaire, l'imagination, la
passion.
Propédeutique
pour une lecture.
"On mutile la réalité de
l'amour en le détachant de toute irréalité."
Bachelard.
Au cours de notre lecture gardons bien en mémoire le thème: le pouvoir
de l'imaginaire, la capacité de l'imaginaire à agir sur (passion) et
à faire agir (motivation). L'imaginaire est le corrélatif de
l'imagination: l'imagination le déploie et se nourrit de ce qu'elle a déployé
et des sédimentations successives en une sorte de nappe phréatique,
toujours à l'état latent qu'est l'imaginaire.
"Et sans
doute, en se rappelant ainsi leurs entretiens, en pensant ainsi à elle
quand il était seul, il faisait seulement jouer son image entre
beaucoup d'autres images de femmes dans des rêveries romanesques; mais
si, grâce à une circonstance quelconque (ou même peut-être sans que
ce fût grâce à elle, la circonstance qui se présente au moment où
un état, latent jusque-là, se déclare, pouvant n'avoir influé en
rien sur lui) l'image d'Odette de Crécy venait à absorber toutes ces rêveries,
si celles-ci n'étaient plus séparables de son souvenir, alors
l'imperfection de son corps ne garderait plus aucune importance, ni
qu'il eût été, plus ou moins qu'un autre corps, selon le goût de
Swann, puisque, devenu le corps de celle qu'il aimait, il serait désormais
le seul qui fût capable de lui causer des joies et des tourments."
Proust. A la recherche du temps perdu, un amour de Swann, Pléiades,
Tome I, 199.
_______________________________________
Mouvement du texte:
Remarquons
cette longue phrase qui n'est qu'un raisonnement hypothético-déductif
à partir de "mais".
1-
Swann est d'abord le romancier de ses rêveries, l'auteur encore maître
de son attention, encore sujet qui imagine, qui reste le héros des
conquêtes accomplies dans ses rêveries.
2-
Mais si... Si on admet que, accordez-le moi. Première partie d'un
raisonnement hypothético déductif: comment Swann en finit par voir à
travers l'imaginaire, comment sa conscience se fixe sur un objet.
3-
Conclusion déduite et argument à l'appui: disparition des autres
femmes. L'image du corps de Odette relève de l'imaginaire, Swann
"perçoit maintenant à travers l'irréalité de l'imaginaire.
La
parenthèse: cette parenthèse explicite le terme
"quelconque" qui qualifie la circonstance. Elle ouvre à
l'imaginaire avec la dimension de l'inconscient. Par son absence et par
l'amour de Swann, le corps d'Odette devient l'objet de tous les rêves
de Swann. Mais, le romancier disparaît en tant que sujet qui pouvait
porter un regard extérieur sur ses rêveries. Swann disparaît au
moment même où sa conscience se fixe sur un seul objet et n'aborde les
autres objets qu'en rapport avec cet objet.
Explication
à partir de la détermination des concepts:
Sans doute:
Proust part d'un fait peu contestable, qu'il ne conteste pas.
Seulement:
ce n'était que cela, un jeu de l'imagination , appuyé sur la mémoire
évoquant les entretiens avec Odette qui viennent d'être résumés, et
une multiplicité d'images de corps d'autres femmes; il pensait à
Odette non pas comme à un être unique, sur le mode de la passion,
selon une structure fixée de sa conscience, mais sur le mode de
l'action imaginaire consistant à mettre en relation des images, à les
faire jouer, en construisant, pesant et comparant pour en quelque sorte
mesurer l'impact des corps en fonction de leur capacité plus ou moins
grande à satisfaire son goût.
Tout ce jeu relève aussi bien de l'imagination que de l'esprit d'un
sujet qui préfère le rêve à l'action mais qui n'en garde pas moins
une distance, un point de vue extérieur sur ses rêveries. Il exerce un
certain pouvoir, c'est le sujet, l'auteur du rêve.
Rêveries
romanesques: il fréquente l'invraisemblable en
s'imaginant être le héros de ses conquêtes. Le conquérant se nourrit
toujours de l'imaginaire. Il garde le pouvoir donné au créateur: la
multiplicité des objets possibles pour satisfaire ses désirs, le
laisse libre de choisir, de comparer et de peser pour éclairer son
choix. A ce moment il ne choisirait pas Odette qui ne lui plaît pas et
qui n'est pas son genre. Odette n'est que l'image d'un corps parmi
d'autres images de corps. En ce sens le rêve reste ouvert car c'est le
sujet qui est le centre des grands rôles joués.
Seulement est à comprendre comme : ce n'est pas une
passion qui absorbe tout. Swann use de l'imaginaire pour accéder à un
monde qui sera le sien, qui lui ressemblera dirait Baudelaire.
Pour que la structure de sa conscience se fixe, pour que sa liberté
soit absorbée, il faut un objet qui devienne unique, qu'il appréhende
à travers son imaginaire.
|