Préparation
à la lecture
Les
trois discours sont orientés par un stratégie et un but: la
fin poursuivie par l'auteur c'est de conduire les grands de ce monde,
grands par leur noblesse et par leur biens, à un seuil où ils seront
prêts à écouter "d'autres" que Pascal (= des confesseurs,
des prédicateurs de carême...) leur enseigner le chemin qui conduit
aux biens spirituels de la charité c'est à dire à l'amour. Il s'agit
de les amener à la conversion, à se sauver de la damnation (=
condamnation aux peines de l'enfer). Seul le salut compte.
Mais
ce salut exige de sortir de l'ignorance et de l'illusion,
de s'éveiller,
d'acquérir une connaissance véritable de sa condition, grâce à la
philosophie qui, par ses distinctions, permet d'échapper à la
confusion première par
laquelle nous confondons les différentes valeurs, ce qui fait la
grandeur des nobles et ce qui fait celle des héros, des savants, des
saints et plus généralement celle des gens admirables par leurs qualités
naturelles et ce qu'ils en tirent.
Cette confusion est si grande qu'elle nous entraîne à croire que le
plus riche est nécessairement le meilleur, comme si la valeur morale était
déductible de la noblesse et de la richesse, comme si le noble et le
riche méritaient dans tous les cas notre estime.
Qu'est-ce qui nous permettra de distinguer sinon la réflexion
philosophique, l' esprit d'examen, le raisonnement vigilant?
Les
trois discours sur la condition des grands de Pascal sont fondés sur
une seule et même distinction ce
qui lui permet d'affirmer qu'il y a deux ordres de grandeur qui ne
sauraient être confondus puisque, par leur origine, ils diffèrent
radicalement:
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d'une part les grandeurs qui ont été imaginées, calculées puis
instituées (établies, par un accord des volontés pour établir tel ou
tel ordre: l'origine est arbitraire mais par cet accord, l'ordre établi
exige au moins une reconnaissance extérieure, des
marques de respect qui s'adressent plus à la loi qu'à un personnage,
et au plus la reconnaissance que cet ordre participe à
la rationalité, quel que soit son contenu.
Par exemple, on doit un respect extérieur à l'ordre établi en ce qui
concerne l'héritage, même si cet ordre est arbitraire: c'est en effet
une grandeur d'établissement que l'on doit respecter même si les
hommes auraient pu convenir, instituer, qu'au décès de quelqu'un ses
biens retourneraient à la chose commune,
à
la République. Cela signifie que la raison justifie l'ordre, parce
qu'il faut un ordre,
dans
sa forme , quel que soit son contenu. Le contenu a pour origine
l'imagination, le bon plaisir. Les grandeurs d'établissement ont un
rapport avec la fonction imaginaire de l'imagination, la folle
du logis, selon Malebranche
A l'enfant qui s'étonne: pourquoi le droit de l'aîné, pourquoi pas
celui du cadet? On répondra parce que cela a été établi ainsi.
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D'autre part les grandeurs naturelles ont un rapport avec la réalité
de ce que sont les individus c'est à dire avec leur nature. Par
exemple, la force, l'intelligence, la bonté, tout ce qui relève du
corps et de l'âme.
Ces
valeurs, ces grandeurs naturelles méritent l'estime car elles ont pour
origine la réalité des individus, leur effort vers la vérité ou vers
la justice.
Ainsi Pascal avance en nous donnant un critère, un instrument de
reconnaissance que nous pouvons dès maintenant utiliser, avant de
porter un jugement de valeur. Ce critère c'est une question qu'il faut
se poser, une question préalable dont on ne peut faire l'économie: la
bonne question est de se demander devant une valeur: est-elle instituée
ou ne l'est-elle pas?
De cela
découlera la réponse à la question: que dois-je faire, que dois-je
respecter, Si elle est instituée? Qui dois-je estimer? S'il s'agit
d'une grandeur d'établissement, le respect ne
s'adresse pas d'abord au personnage mais à ce qui a été institué:
quand je m'incline devant le roi, je ne m'incline pas devant l'individu
qu'il est d'abord. On donnera des marques extérieures de respect aux
grandeurs d'établissement car on ne peut se passer d'institutions, on
estimera la personne qui présente une grandeur, une valeur, qui la
porte réellement par ce qu'elle tient de la nature ce qu'il a repris
dans un effort pour réaliser son existence de manière pleinement
humaine. Cette valeur, cette grandeur ne tient pas à la fantaisie, à
une invention de l'imagination mais à ce qui est vraiment.
L'ordre établi voudrait bien se justifier en s'enracinant dans
l'ordre naturel et c'est cette prétention que Pascal attaque: pour
ainsi dire il veut remettre à sa place l'ordre établi, sans pour cela
nier sa valeur d'institution.
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