Expliquer
un texte
"En
s'écartant, même sans le vouloir, de la vérité, on
contribue beaucoup à diminuer la confiance que peut inspirer
la parole humaine, et cette confiance est le fondement
principal de notre bien-être social actuel ; disons même
qu'il ne peut rien y avoir qui entrave davantage les progrès
de la civilisation, de la vertu, de toutes les choses dont le
bonheur humain dépend pour la plus large part, que
l'insuffisante solidité d'une telle confiance. C'est
pourquoi, nous le sentons bien, la violation en vue d'un
avantage présent, d'une règle dont l'intérêt est tellement
supérieur n'est pas une solution ; c'est pourquoi celui qui,
pour sa commodité personnelle ou celle d'autres individus,
accomplit, sans y être forcé, un acte capable d'influer sur
la confiance réciproque que des hommes peuvent accorder à
leur parole, les privant ainsi du bien que représente
l'accroissement de cette confiance, et leur infligeant le mal
que représente son affaiblissement, se comporte comme l'un de
leurs pires ennemis. Cependant,
c'est un fait reconnu par tous les moralistes que cette règle
même, aussi sacrée qu'elle soit, peut comporter des
exceptions : ainsi - et c'est la principale - dans le cas où,
pour préserver quelqu'un (et surtout un autre que soi-même)
d'un grand malheur immérité, il faudrait dissimuler un fait
(par exemple une information à un malfaiteur ou de mauvaises
nouvelles à une personne dangereusement malade) et qu'on ne pût
le faire qu'en niant le fait. Mais pour que l'exception ne
soit pas élargie plus qu'il n'en est besoin et affaiblisse le
moins possible la confiance en matière de véracité, il faut
savoir la reconnaître et, si possible, en marquer les
limites."
John Stuart Mill, L'utilitarisme"
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Explications:
faire apparaître le sens sans jamais perdre de vue l'analyse des
concepts. (suite)
2)
Deuxième partie.
L'auteur
tire deux conséquences qui lui permettent de répondre à deux
objections.
Première conséquence - On pourrait lui objecter que le mensonge
a une utilité et qu'il devrait être possible de mentir
moralement si la morale doit être ajustée à l'intérêt. Ce qui
est utile ne contribue-t-il pas au bonheur? La comparaison des
deux sortes d'utilité revient à comparer ce qui est simplement
utile et ce qui est vraiment utile: l'utilité du mensonge et
l'utilité de la règle morale sont incomparables tellement ce qui
est tourné vers l'universel transcende l'intérêt l'intérêt
particulier. La raison exige que l'on écarte ce qui nuit à la
confiance et qu'on juge négligeable l'intérêt d'un mensonge en
comparaison de l'intérêt de la règle morale ou si l'on préfère
la considération de l'utilité immédiate d'un mensonge ne peut
justifier le mensonge qui bouscule la règle morale.
C'est
pourquoi -
Deuxième conséquence.
l'un
de leurs pires ennemis -
Ennemi: celui qui en s'écartant de la vérité,
cherche à nuire à, celui qui fait la guerre aux hommes en
diminuant la confiance qui est condition nécessaire et
primordiale de leur bonheur.
Le sens est clair: Mentir -> utilité particulière ->
exercer une action sur la confiance, la modifier, la diminuer=>
nuire aux hommes.
les
privant ainsi du bien -
c'est à dire de l'intérêt pour eux que représente la
confiance, ce qui revient à diminuer leur bonheur et donc à leur
faire subir un mal par la privation d'un bien.
sans
y être forcé -
Celui qui est forcé, en effet, ne peut agir moralement, puisqu'il
n'agit pas librement.
3)
Troisième partie.
Cependant
-
L'auteur revient sur ce qui précède, pour en nuancer le contenu
catégorique (il a parlé de règle sacrée): il y a des
exceptions à la règle. Mill s'abrite derrière un accord unanime
de tous les moralistes, les moralistes étant ceux qui écrivent
ou traitent de la morale.
aussi
sacrée qu'elle soit -
sacrée, n'est pas une référence au
transcendant, à l'absolu. Sacrée signifie ici inviolable car
reposant sur ce qui est vraiment utile aux hommes, ce qui leur
importe: satisfaire leur plaisir dans la confiance. La règle
morale n'est donc pas fondée par un principe a priori mais par
l'utilité, par l'expérience: est moral ce qui
utile au plus grand nombre.
c'est
un fait -
Ce devant quoi il faut s'incliner, comme si pour l'auteur c'était
l'expérience qui avait le dernier mot.
exceptions
-
Des cas où la règle de ne pas s'écarter de la vérité peut ne
pas être appliquée: lorsque, par exemple, s'écarter de la vérité
permettrait de sauver la vie d'autrui, d'un innocent que poursuit
un malfaiteur et qui ne l'a pas mérité.
Par exemple: celui qui cherche à tuer X , entre dans ma maison et
me demande impérieusement: X est-il dans ta maison?
Puisque sauver un innocent est un devoir de justice, d'une utilité
immense, et que cette utilité n'est pas pour moi, je peux alors
m'écarter de la vérité et répondre: "il est passé dans
le jardin". (Sur cet exemple, Kant avait remarqué que X peut
très bien être allé dans le jardin en passant par la porte de
derrière lorsque le bandit est entré dans ma maison. Si j'avais
dit ce qui me semblait la vérité c'est à dire qu'il était dans
ma maison, le bandit l'aurait cherché dans ma maison et
l'innocent aurait pu s'enfuir.)
Faut-il mentir à un malade ou lui dire qu'il est condamné, au
risque de perdre sa confiance ou de lui faire perdre confiance?
Mais, l'exception doit cependant être encadrée par deux
conditions: d'une part elle doit être reconnue de manière
indiscutable. D'autre part il faudrait en marquer les limites
c'est à dire les définir avec précision, pour éviter qu'on les
étende à d'autres choses qu'elles.
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