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L'étude de texte - 

Un auteur, un texte  par J. Llapasset 

MARX (1818-1883)

Le travail - La dépossession du travail 

     Classes prépas, ENS

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Or, en quoi consiste la dépossession du travail? .
D'abord, dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son être; que, dans son travail, l'ouvrier ne s'affirme pas, 'mais se nie; qu'il ne s'y sent pas satisfait, mais mal- heureux; qu'il n'y déploie pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. C'est pourquoi l'ouvrier n'a le sentiment d'être à soi qu'en dehors du travail; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n'est pas lui. Son travail n'est pas volontaire, mais contraint. Travail forcé, il n'est pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste. Le travail aliéné, le travail dans lequel l'homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification. Enfin, l'ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas; que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas à lui-même, mais à un autre.

Marx, Ébauche d'une critique de l'économie politique. (Pléiade, Gallimard, II. page 60)

Comme nous finissons pas croire voir la Vénus de Milo ou la victoire de Samothrace, nous ne confondons que trop ce qui est le produit d'une histoire avec l'original.
Nous croyons en effet un peu vite que le travail ne serait qu'un moyen de satisfaire des besoins animaux (après le travail) auxquels l'homme serait lié comme à une nécessité pour survivre, exactement comme l'animal survit en ne produisant jamais que lui même. Nous prenons alors comme qualité essentielle du travail ce qui n'en est que la perversion: la dégringolade du travail au rang de simples moyens d'une nécessité biologique.
C'est dire que la véritable nature du travail, l'opération du travailleur, ce par quoi il se prolongeait à l'extérieur de lui même dans un produit qui devenait témoin de son humanité en portant la trace de ses efforts et de son ingéniosité, est niée tout le temps qu'il travaille.

Restent alors les forces d'un organisme animal pour qui le travail n'est plus qu'un moyen d'obtenir de quoi se réparer et donc compenser l'énergie dépensée: le moyen d'acheter des aliments et d'user d'un certain de "loisir" pour que l'organisme récupère ses forces.
Quel est le processus qui a permis cette perversion? Pour répondre à cette question, ne faut-il pas commencer par se demander avec Marx: en quoi consiste la dépossession du travail? En effet la dépossession du produit du travail exige que l'acte lui même soit dépossédé: cela nous oblige à scruter l'acte même de la production, car, si l'ouvrier y est étranger à lui même, ce ne peut être qu'au coeur de l'activité du travail que s'opère la dépossession. Cette capacité de se prolonger dans le produit de son travail qui est  preuve et figure de sa liberté, doit être d'une manière ou d'une autre niée. Le déposséder du produit de son travail implique alors que l'acte même du travail ne lui appartienne plus, ne relève plus de lui; et pour cela, il faut et il suffit qu'il ne puisse plus être soi au cours du travail; que le produit ne soit plus ce qui le révèle à lui même, ce qui le fait accéder à la considération de soi, dans la mesure où le produit non seulement est la preuve de ses qualités et de sa grandeur mais encore représente un monde humain qui le reflète.

Pistes de compréhension

 Le travail n'appartient à l'être de l'ouvrier que si le soi peut se prolonger comme manifestation de son intériorité. La dépossession du travail consiste donc à l'extérioration du travail, inventé par un autre, organisé par un autre, avec pour conséquence que dans l'acte du travail l'ouvrier ne peut plus satisfaire son besoin de s'affirmer: l'opération ne vient plus du soi, il ne vit plus humainement; si bien que dans le travail aliéné l'ouvrier se sent nié, considéré comme inexistant humainement, réduit à son animalité. Comment pourrait-il alors vivre vraiment, satisfaire le besoin d'exercer son humanité?

Libre énergie physique et intellectuelle: pour Marx, la vraie nature du travail comme opération, avant qu'il ne soit perverti en simple moyen, est d'être le libre exercice de l'homme. Travail subjectif, travail vivant, travail réel. Le travail ne produit pas une simple chose mais permet au soi de se donner témoignage de soi dans la chose, dans un même mouvement de se reconnaître et de se faire reconnaître. Hegel dans la Phénoménologie de l'esprit, I, page 165, Aubier, écrivait: "L'être pour soi s'extériorise lui même et passe dans l'élément de la permanence."

... mortifie ... et ruine : tout comme l'esclave, considéré comme un animal: il est lui quand il ne travaille pas, il ne travaille pas quand il est lui. Magnifique formule pour montrer les conséquences de l'aliénation sur l'ouvrier.

... perversion de la nature même du travail : de fin, satisfaction d'un besoin humain de s'égaler à soi même, d'en venir à l'intuition de soi même dans l'être indépendant comme dans une conquête du monde, à un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail c'est à dire en dehors de l'opération qui seule peut satisfaire un besoin  proprement humain de se prolonger en se prouvant sa volonté et son ingéniosité dans les effets des deux facultés.
La perversion du travail a pour conséquence que les fonctions  animales  vont jouer le rôle de fins pour l'ouvrier puisqu'il a l'impression qu'elles laissent libre cours à sa spontanéité, à son activité propre... Mais en les prenant pour fins, l'homme dégringole dans l'animalité et dans cette chute consentie il a l'illusion d'exercer sa liberté. Mais, "ce qui est humain devient animal"! 

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