°
Rubrique Etude
de texte en philosophie
Etude
de texte
Un
auteur, un texte par
Joseph Llapasset
MACHIAVEL
Nécessité
des institutions. (Discours
sur la première Décade de Tite-Live)
page 1 - page
2 - page 3
Le
texte , sa problématique, mouvement, explication
Site
Philagora, tous
droits réservés ©
________________
Tous les écrivains
qui se sont occupés de politique (et l'histoire est remplie
d'exemples qui les appuient) s'accordent à dire que quiconque
veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer d'avance
les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur méchanceté
toutes les fois qu'ils en s trouveront l'occasion. Si ce penchant
demeure caché pour un temps, il faut l'attribuer à quelque
raison qu'on ne connaît point, et croire qu'il n'a pas eu
l'occasion de se montrer ; mais le temps qui, comme on dit, est le
père de toute vérité, le met ensuite au grand jour.
Après l'expulsion des Tarquins, la plus
grande union paraissait régner entre le Sénat et le peuple. Les
nobles semblaient avoir déposé tout leur orgueil et pris des
manières populaires, qui les rendaient supportables même aux
derniers des citoyens. ils jouèrent ce rôle et on n'en devina
pas le motif tant que vécurent les Tarquins. La noblesse, qui
redoutait ceux-ci, et qui craignait également que le peuple
maltraité ne se rangeât de leur parti, se comportait envers lui
avec humanité. Mais quand la mort des Tarquins les eut délivrés
de cette crainte, ils gardèrent d'autant moins de mesure avec le
peuple qu'ils s'étaient plus longtemps contenus, et ils ne laissèrent
échapper aucune occasion de le frapper. C'est une preuve de ce
que nous avons avancé: que les hommes ne font le bien que forcément;
mais que dès qu'ils ont le choix et la liberté de commettre le
mal avec impunité, ils ne manquent de porter partout la
turbulence et le désordre.
C'est ce qui a fait dire que la pauvreté et
le besoin rendent les hommes industrieux et que les lois font les
gens de bien. Là où le bien vient à régner naturellement et
sans la loi, on peut se passer de loi, mais dès que viennent à
expirer les moeurs de l'âge d'or, la loi devient nécessaire.
Ainsi les grands, après la mort des Tarquins, n'éprouvant plus
cette crainte qui les retenait, il fallut chercher une nouvelle
institution qui produisît sur eux le même effet que produisaient
les Tarquins quand ils existaient. C'est pour cela qu'après bien
des troubles, des tumultes et des périls occasionnés par les excès
auxquels se portèrent les deux ordres, on en vint, pour la sûreté
du dernier, à la création des tribuns, et on leur accorda tant
de prérogatives, on les entoura de tant de respects, qu'ils formèrent
entre le Sénat et le peuple une barrière qui s'opposa à
l'insolence des premiers.
Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live
Problématique:
Comment
comprendre la fondation des institutions. A quel besoin leur
invention vient-elle porter remède?
Ce
texte est extrait du Discours sur la première décade de
Tite-Live (historien latin), oeuvre que Machiavel commença
vers la même époque que Le Prince mais qu'il ne termina
pas. Il cherche des exemples dans le passé pour, grâce à sa
raison, établir comment un bien peut jaillir de ce qui paraît un
mal aux yeux de la conscience morale.
S'il est inutile de compter sur la bonté des hommes pour
progresser, puisqu'il n'y en a pas, cela ne doit pas nous désespérer.
Il ne faut pas se lamenter sur cette méchanceté mais suivre
l'histoire qui nous invite à y voir la promesse d'un progrès
puisque les divisions et les désordres on été, dans le passé,
source de progrès.
Mouvement
du texte et explication:
1- Dans la
première partie (jusqu'à "au grand jour"
- la ligne 8), Machiavel pose une sorte de loi, un principe qui
lui paraît incontestable, un postulat que le bon politique doit
admettre: une hypothèse une supposition, ce qui n'apparaît pas
au regard, n'est pas visible, mais que l'intelligible révèle: il
faut supposer que les hommes sont méchants et que cette méchanceté
s'exprimera, à chaque "occasion", c'est à dire chaque
fois que cela sera possible, que la contrainte de la force disparaîtra.
2-
Dans la deuxième partie (jusqu'à "le désordre"
-la ligne 21), l'auteur à partir de l'analyse d'un exemple
historique, la brusque disparition de l'ordre imposé par le joug
des Tarquins, s'efforce de prouver la valeur de son principe.
En effet, avant cette brusque disparition, l'opinion qui croit à
tout ce qu'elle entend et à tout ce qu'elle voit, qui se fie aux
apparences hypocrites, aurait affirmé que les nobles du Sénat
avaient bien changé! Plus d'ambition, semblait-il, et beaucoup
d'humanité envers la plèbe. Mais ce n'était qu'une apparence
car la disparition des Tarquins fit apparaître la réalité: la démesure
et la persécution du peuple recommencèrent. C'est bien le
mouvement du temps qui est le père de toute vérité, par exemple
qui fait apparaître que l'amitié proclamée n'était qu'une
simple camaraderie intéressée.
3-
Dans la troisième partie, la raison s'exerce sur l'expérience
pour en dégager des enseignements: Machiavel tire la conséquence
des deux premières parties. Une institution est nécessaire:
quand une institution disparaît, il faut en créer une autre,
meilleure: ici, confier la garde de la liberté à des tribuns élus
par le peuple.
C'est que le désordre crée un besoin, le besoin d'une invention:
l'excès de licence appelle une invention. Pour protéger la
liberté du peuple de la démesure du sénat il faut créer une
nouvelle magistrature: les tribuns, élus par la plèbe, qui
seront les gardien de sa liberté
Vers
la page suivante: Plan du devoir, conclusion et élargissement °
Rubrique Etude
de texte en philosophie
|