Expliquer
un texte
"L'origine des erreurs est, en un certain sens, la
même que celle des erreurs de calcul, qui arrivent aux
arithméticiens. En effet, il arrive souvent qu'à défaut
d'attention ou de mémoire, nous faisons ce qu'il ne
faut pas faire ou que nous omettons ce qu'il faut faire,
ou bien que nous croyons avoir fait ce que nous n'avons
pas fait, ou que nous avons fait ce que nous croyons
n'avoir pas fait. Ainsi, il arrive que, dans le calcul
(auquel correspond le raisonnement dans l'esprit), on
oublie de poser certains signes nécessaires ou qu'on en
mette qu'il ne faut pas; qu'on néglige un des éléments
du calcul en les rassemblant, ou qu'on opère contre la
règle. Lorsque notre esprit est fatigué ou distrait,
il ne fait pas suffisamment attention aux opérations
qu'il est en train de faire, ou bien, par une erreur de
mémoire, il accepte comme déjà prouvé ce qui s'est
seulement profondément enraciné en nous par l'effet de
répétitions fréquentes, ou d'un examen prolongé, ou
d'un désir ardent. Le remède à nos erreurs est également
le même que le remède aux erreurs de calcul: faire
attention à la matière et à la forme (1), avancer
lentement, répéter et varier l'opération, recourir à
des vérifications et à des preuves, découper les
raisonnements étendus, pour permettre à l'esprit de
reprendre haleine, et vérifier chaque partie par des
preuves particulières. Et puisque dans l'action, on est
quelquefois pressé, il est important de s'habituer à
garder le sang-froid et la présence d'esprit, à
l'exemple de ceux qui, même au milieu du bruit et sans
calculer par écrit, savent exécuter des opérations
sur des nombres très élevés. Ainsi l'esprit s'habitue
à ne pas se laisser facilement distraire par les
sensations externes ou par ses imaginations et ses
affections propres, mais à rester maître de ce qu'il
est en train de faire, à conserver sa faculté critique
ou, comme on dit communément, son pouvoir de faire
retour sur lui-même, de manière à pouvoir, tel un
moniteur (2) étranger, se dire sans cesse à lui-même:
vois ce que tu fais, pourquoi le fais-tu
actuellement?"
Leibniz. "Remarques sur Descartes"
(1):
"la matière et la forme": le contenu et
l'enchaînement du raisonnement.
(2):"moniteur": quelqu'un qui avertit,
conseille.
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Première
étape (suite)
Quelle
est l'articulation de la première étape sur l'origine de toutes
les erreurs?
-
Une affirmation, la première phrase. Cette affirmation, la suite
de la première étape l'établit par une argumentation.
L'argumentation est introduite par l'expression en
effet.
-
Leibniz veut à la fois établir que l'origine est la
même et que cette origine, ce d'où naît l'erreur, se
trouve être une fatigue de l'esprit ou une confusion de la
mémoire.
La
démonstration procède par une comparaison des erreurs dans
l'action et des erreurs dans le calcul: cette comparaison, pour
peu qu'on ait bonne mémoire, fait apparaître leur identité et
leur origine. La difficulté à saisir une démonstration c'est
qu'il faut faire attention à ce qu'on lit et garder en mémoire
ce qu'on vient de lire. En effet, quand Leibniz donne des exemples
d'erreurs dans le calcul, il faut garder en mémoire les exemples
d'erreurs dans l'action qu'il vient de donner pour voir ce qui est
identique entre l'action et le calcul. Un esprit faible se
fixe sur l'intuition présentée et oublie ce qui vient d'être
présenté. Le passage du passé immédiat au présent n'étant
pas assuré, on ne peut saisir l'identité entre ce qui vient
d'être dit et ce qui est dit. C'est bien un défaut d'attention
(à ce qui se passe) et un défaut de mémoire qui permet de
comprendre les erreurs dans l'action comme dans le calcul.
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Beaucoup de candidats auront parlé du calcul mathématique alors
que, ici, il s'agit du calcul arithmétique.
-
Ainsi, souligne l'identité que présente la
comparaison entre les diverses erreurs de l'action et du calcul et
doit être pris dans le sens suivant: de la même
manière, de manière identique. Présentons la
comparaison dans un tableau:
Erreur
dans l'action
|
Ainsi
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Erreur
de calcul
|
Nous
faisons ce qu'il ne faut pas faire
|
On
met ce qu'il ne faut pas |
Nous
oublions ce que nous devons faire |
On
oublie de poser certains signes |
Nous
croyons avoir fait ce que nous n'avons pas fait |
On
néglige un des éléments du calcul en les rassemblant
(c'est ce qu'on appelle un mécompte). |
Le
tableau permet de passer de gauche à droite, ce passage
s'effectue par tautologie (= dire la même chose), la tautologie
est indiscutable: les erreurs dans l'action et dans le calcul sont
semblables et de ces erreurs on peut remonter à deux
origines communes. Dans tous les cas, l'origine est la
même, ou bien un défaut d'attention d'un esprit
fatigué, ou bien un défaut de mémoire, une confusion:
- fatigué, l'esprit ne fait suffisamment attention
- ou alors la mémoire confond ce qui relève de la preuve et de
la règle avec ce qui relève du préjugé, de la sensibilité, ou
encore de l'opinion qui n'est que l'expression d'un désir.
Pas
de rigueur dans une démonstration sans intuition, sans mémoire:
sans un raisonnement vigilant dirait Épicure.
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