Déjà
l'observation a besoin d'un corps de précautions qui
conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du
moins la première vision, de sorte que ce n'est jamais la première
observation qui est la bonne. L'observation scientifique est
toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une
thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation ;
elle montre en démontrant; elle hiérarchise les apparences; elle
transcende l'immédiat; elle reconstruit le réel après avoir
reconstruit ses schémas.
Naturellement,
dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation'`, le
caractère polémique de la connaissance devient plus net encore.
Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré,
coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des
instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées.
Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque
théorique.
Bachelard, Le Nouvel Esprit Scientifique, page 16 |
Problématique:
Question à laquelle le texte répond:
qu'est-ce qui fait qu'un phénomène scientifique peut être pensé
comme scientifique?
Comprenons que Bachelard ne traite que du réel scientifique, celui du
savant.
Ce qui fait qu'un phénomène est scientifique c'est qu'il se déploie
dans et par un champ théorique, que ce soit dans l'observation ou dans
l'expérimentation.
Le
problème: quelle
est la part du théorique dans l'observation et
l'expérimentation? La science, n'est-ce que du mental? Comment
échapper à l'empirisme qui veut que la science soit une sorte
d'enregistrement, d'unification de l'expérience?
En s'appuyant sur l'observation et l'expérimentation
scientifique, Bachelard met en lumière que l'intuition
intellectuelle précède l'intuition sensible et construit sa
propre réalité. Il n'y a de réel scientifique qui ne soit
d'abord une construction théorique et ensuite une construction
technique (le schéma d'expérimentation). Tout est construit.
Le
mouvement:
Première
partie:
l'auteur établit que l'observation scientifique reconstruit le
réel.
Deuxième
partie:l'expérimentation
produit des phénomènes scientifiques construits par des
théories.
Explication
et commentaire :
Si Bachelard commence par l'observation et
montre qu'elle n'est pas l'enregistrement passif des phénomènes,
mais qu'elle est précédée et soutenue par des précautions, des
calculs, c'est pour établir que l'observation scientifique est
construite par la culture consciente d'elle même, épurée de
l'observateur.
En
montrant l'activité de la raison sans laquelle il n'y aurait pas
d'observation scientifique, mais une simple vision aveugle, il
établit sa thèse: l'observation scientifique est
scientifique dans la mesure où elle est préparée par des
hypothèses, des question qui orientent l'attention en fonction de
la raison. L'hypothèse qui précède est un
questionnement préalable à toute observation scientifique qui
évite la confusion et l'amalgame.
Le
point de départ de l'observation scientifique n'est pas un simple
phénomène sensible, une image, mais, un problème car un calcul
de la raison a été déçu, ce qui laisse perplexe devant ce que
l'on constate: la perplexité vient de ce qu'on avait cru possible
un phénomène et que l'observation réelle mesurable déçoit ce
calcul. Par exemple les fontainiers de Florence constatent qu'il
leur est impossible, en faisant le vide dans un tube de faire
monter l'eau à plus de 10 mètres, 33. Ils se bornent à le
constater. Cela reste un phénomène sensible. Le problème
jaillit pour celui qui en s'appuyant sur la théorie d'Aristote
selon laquelle la nature a
horreur du vide, a calculé
en fonction de cette théorie que l'eau doit toujours
monter si la nature a horreur du vide.
On
ne peut imaginer qu'à 10,33 mètres la nature cesse d'avoir
horreur du vide.
C'est l'expérience de Pascal qui va construire des observations
scientifiques: du point de vue de la théorie, si on admet que
c'est le poids de l'air qui fait monter l'eau dans un tube où on
fait le vide, on peut prévoir que la hauteur de l'eau dans le
tube sera inversement proportionnelle à l'altitude. Si on prend
trois altitudes différentes, on aura trois observations
scientifiques différentes, trois mesures. On pourra les comparer
aux prévisions pour confirmer ou infirmer l'hypothèse: c'est
l'air qui pèse.
Elle
montre en démontrant: si l'on considère l'exemple qui
vient d'être donné, on voit que l'observation scientifique des
trois mesures montre en démontrant, puisqu'elle correspondent à
la prévision déduite de la théorie de Pascal.
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