Rubrique Épistémologie

Rubrique épistémologie

Épistémologie: les conditions, la valeur, les limites de la connaissance humaine

Jules Lachelier

Le pari de Pascal

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B -  Critique du pari

  • 7- Le problème: la possibilité de la vie éternelle

  Ce n'est donc pas là qu'est la difficulté, s'il en a une. Mais que vaut, au point de vue de la légitimité du pari, l'idée unique sur laquelle il nous parait maintenant porter, celle de la vie éternelle? Il ne s'agit pas de savoir si cette idée correspond à un objet réel: si nous étions en état de résoudre cette question, nous ne serions pas réduits à parier. Mais nous avons au moins besoin de savoir si l'objet de cette idée est possible car, s'il ne l'était pas, il serait inutile de nous demander combien il y a de chances pour qu'il existe. Nous suffira-t-il cependant de savoir que cet objet n'est pas impossible? Et ne pourrait-il pas y avoir plusieurs genres de possibilité, tels que le calcul des chances ne fût applicable qu'à l'un d'eux?

Avant de demander si une chose peut exister, nous devons demander si elle peut être conçue, c'est-à-dire si elle n'implique pas contradiction; si elle satisfait à cette condition, nous dirons qu'elle est logiquement possible. Mais, de ce qu'une chose est logiquement possible, s'ensuit-il qu'elle le soit aussi réellement et qu'elle soit prête, en effet, à exister? Une chose qui ne porte pas en elle-même d'obstacle à son existence, ne se met pas pour cela d'elle-même en possession de l'existence: nous ne devons donc la tenir pour réellement possible que si nous connaissons des raisons positives pour qu'elle existe ou, en d'autres termes, des causes déterminées à la produire. Est-ce à dire qu'avant de déclarer un événement possible, il faille nous assurer que toutes les conditions physiques dont il dépend sont ou vont être réalisées? Nous aurions, dans la plupart des cas, fort à faire, et le succès même de notre recherche se tournerait pour elle en échec car cet événement nous paraîtrait alors, non plus possible, mais nécessaire.
Ce n'est pas du point de vue des causes efficientes qu'une chose peut être regardée comme réellement possible: c'est du point de vue des causes finales ou, ce qui revient au même, des formes et des genres. Un événement fait toujours partie d'un genre, créé, soit par la nature, soit par nous-mêmes; et il peut prendre, dans les limites de ce genre, un nombre déterminé ou indéterminé de formes particulières, que nous connaissons, dans certains cas, à l'avance, et qui échappent, dans d'autres, à toute prévision précise. Une boule va être tirée d'une urne où il y en a plusieurs: voilà l'événement sous sa forme générale; et nous savons que cet événement peut prendre autant de formes particulières qu'il y a de boules dans l'urne. Un enfant va naître: il sera certainement garçon ou fille; quant aux traits de son visage, à la couleur de ses yeux et à celle de ses cheveux, tout ce que nous savons de ces détails, c'est qu'ils peuvent varier, quoique entre des limites assez étroites, à l'infini. Et, quand nous prononçons ici le mot pouvoir, nous ne voulons dire qu'une chose: c'est que toutes ces spécifications de l'événement du tirage ou de celui de la naissance sont virtuellement contenues dans ce même événement, conçu sous sa forme générale et posé, sous cette forme, comme une fin. Nous savons très bien qu'en voulant, d'une manière générale, le tirage, nous avons voulu éventuellement la sortie de chacune des boules que nous avons, en vue de cette sortie même, mises dans l'urne. Nous ne sommes pas dans le secret de la nature, mais nous supposons qu'elle agit comme nous et que, lorsqu'elle veut la naissance d'un être humain, elle veut en même temps, d'une volonté implicite et virtuelle, chacun de ses modes particuliers d'organisation. Voilà pourquoi ces modes nous paraissent possibles; et quant aux causes physiques qui déterminent l'existence effective de l'un d'eux plutôt que de tous les autres, leur intervention constitue simplement à nos yeux ce que nous appelons le hasard. Est réellement possible, en définitive, toute spécification d'un genre existant.

Cette distinction faite, quelle sorte de possibilité pouvons-nous reconnaître à l'objet du pari de Pascal? En fait, et pour Pascal lui-même, l'idée de la vie éternelle fait partie de la tradition chrétienne: en droit, et pour l'incrédule auquel il la propose, elle se présente comme un concept librement formé par notre esprit, sans modèle, mais aussi sans garantie dans l'expérience. On peut donc demander à ce concept de ne pas se détruire lui-même, et l'on accordera volontiers à Pascal qu'il satisfait à cette condition. Mais on ne peut pas s'attendre à ce qu'il soit l'expression d'une possibilité réelle: car, à moins qu'il ne s'agisse d'événements artificiels et créés par nous-mêmes, il n'y a que l'expérience qui nous instruise de ce qui peut réellement arriver. Que pourrait être, d'ailleurs, pour nous la possibilité réelle d'un objet situé, par hypothèse, hors de la nature? Sur quel fondement pourrait-elle reposer, et à quel signe pourrions-nous la reconnaître? Quel genre, donné sous une forme en ce monde, pourrait être susceptible, dans un autre, d'une nouvelle forme, à la fois analogue et différente? Pascal semble bien, du reste, ne s'être posé aucune de ces questions et s'être contenté, pour l'objet de son pari, de la possibilité logique.

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