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Critique du pari
Le
pari de Pascal, ou plutôt le raisonnement par lequel il le
justifie, est-il logiquement irréprochable ? " L'instinct
", dit M. Havet, " avertit qu'il doit y avoir un défaut
dans cette démonstration étrange, mais on a de la peine à le démêler.
" Il ne saurait être question de fautes de calcul mais n'y
a-t-il pas un sophisme caché dans les données du calcul ?
Ces
données sont, d'une part, le rapport des chances de gain aux
chances de perte, qui paraît être, pour Pascal, un rapport d'égalité;
de l'autre, les trois idées, inséparables avons-nous dit, dans sa
pensée, de Dieu, de la vie éternelle, et du renoncement à nous-mêmes."
On
pourrait demander d'abord si ces trois idées sont inséparables. Ne
serait-il pas possible, par exemple, que Dieu fût et que nous n'
eussions cependant rien à espérer après cette vie ? Poser cette
question serait, je crois, mal comprendre Pascal ou, en tout
cas, son pari. Le Dieu pour lequel il nous propose de parier n'est
pas celui qui a créé le monde et en qui subsistent les vérités géométriques:
c'est celui qui nous aime, celui qui veut nous sauver et nous rendre
éternellement heureux. La vie éternelle, d'autre part, n'est pas
un état de félicité, en quelque sorte, physique, dont Dieu
pourrait être la cause, sans en être en même temps la matière:
c'est l'union de notre âme avec Dieu, c'est Dieu même, de caché
devenu visible et présent à notre conscience. Il n'y a donc pas là,
en réalité, deux idées, mais une seule, qui est celle de notre béatitude.
Le gain attaché au succès du pari est l'objet même du pari.
Demandera-t-on
maintenant s'il y a un rapport nécessaire entre le gain et l'enjeu,
si nous ne pouvons vraiment parvenir à la vie éternelle qu'en
renonçant au monde et à nous-mêmes ? Sans doute, si cette vie ne
devait être qu'une sorte de revanche de la nature sur la mort, le
triomphe définitif de notre moi, mis désormais à l'abri
des atteintes du temps, on ne voit pas pourquoi nous ne pourrions
nous y préparer qu'en renonçant à nous-mêmes:
ce serait le cas, au contraire, de nous aimer sans réserve, puisque
nous serions assurés de ne jamais nous perdre. Mais il n'en est pas
de même si elle doit consister dans l'union de notre âme avec
Dieu: car, dans le tout que nous formerons alors avec lui, notre moi
comptera pour bien peu de chose, si tant est qu'il soit encore
quelque chose et ne s 'évanouisse pas en participant de l'infini.
On comprend alors que la condition de notre félicité future soit
la renonciation à l'amour-propre: car celui qui fait de lui-même
son centre et son tout refuse, en quelque sorte, d'avance, d'être
uni a Dieu et de vivre de la vie divine. Qui cherche son âme, dit
l'Evangile, la perdra.
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