° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE par Jean Jacques SARFATI 

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La critique de John Rawls par Robert Nozick  dans «Anarchie, État et utopie»

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b) En second lieu, c'est l'injustice même de la thèse rawlsienne que critique Nozick.

  • En effet, ce système a deux conséquences :

    - d'une part, il contraint certaines personnes à donner leur temps pour d'autres personnes ou dans un but qu'elles ne poursuivent pas nécessairement et ce sans qu'elles aient donné leur avis, car « le fait de prendre les gains de ses heures de travail revient à prendre les heures de cette personne » (26);

  • - d'autre part, il oblige ceux qui travaillent pour se payer les plaisirs à donner l'argent qu'ils gagnent se privant ainsi des plaisirs qui sont les leurs.

Or, ces deux conséquences ne sont pas acceptables pour Nozick et elles créent des distorsions injustes. En effet la première revient à «forcer une personne à travailler pour quelqu'un d'autre» (27).

Quant à la seconde, Nozick pose une question : pourquoi, par exemple, l'homme qui préfère prendre son plaisir en regardant des films ( et qui doit gagner de l'argent pour se payer un billet d'entrée) devrait-il être ouvert à l'appel requis pour aider les nécessiteux alors que la personne qui prend son plaisir en regardant les couchers de soleil (et donc n'a rien à payer pour ses plaisirs) ne l'est pas?

Selon lui, la théorie rawlsienne de la justice pénalise doublement ceux qui, ayant des plaisirs coûteux, doivent payer pour ces plaisirs ( ce qu'il trouve logique) mais qui - en plus - sont contraints de payer pour les autres du fait des gains obtenus alors que tel n'est pas le cas de ceux qui ont des plaisirs qui ne leur coûtent rien (28).

         c) Enfin la troisième critique que Nozick fait à la conception rawlsienne du partage des talents consiste dans le fait que celle-ci, selon lui, ignore le but kantien qu'elle prétend s'être assignée à l'origine.
Selon Nozick, la théorie rawlsienne va même à l'encontre du but poursuivi. Il n'hésite d'ailleurs pas à écrire : « Ainsi dénigrer l'autonomie d'une personne et lui nier la responsabilité première de ses actions, c'est une voie douteuse pour une théorie qui souhaite par ailleurs conforter la dignité et le respect de soi des êtres humains » (29).

Comment en effet prétendre d'un côté que les individus ont une autonomie et de l'autre vouloir faire de leurs talents - c'est-à-dire ce qui les caractérise et les singularise- un bien commun?
Ce premier axe de la critique est conforté par l'utilisation même que, selon Nozick, Rawls fait de la personne.
En effet, à plusieurs reprises, Rawls se réfère à Kant dans son travail.

Dans une partie de son texte, il écrit notamment que les principes de justice qu'il a proposés manifestent : « dans la structure sociale de base, le désir des hommes de se traiter les uns les autres comme des fins en soi et pas seulement comme des moyens ».
En effet pour lui, selon le principe du contrat, Rawls nous indique que « traiter les hommes comme des fins en soi implique, à tout le moins, de les traiter en accord avec les principes auxquels ils consentiraient dans une position originelle d'égalité » (30).
Pour Nozick, la proposition de Rawls ignore ce précepte qu'il prétend vouloir défendre et il fait également de certains individus, des moyens pour d'autres en ignorant leurs fins.

Comme le note Nozick: «11 n'y a pas de sacrifices justifiés de certains d'entre nous au profit d'autres » et c'est d'ailleurs l'un des aspects les plus radicaux de sa critique. Faire travailler les plus favorisés pour ceux qui le sont moins conduit à en faire les « instruments » de ceux qui veulent aider les plus nécessiteux. Pour Philippe Van Parisj, l'auteur de la « Théorie de la justice » a répondu à cette objection en rappelant que l'intégrité psychologique et physique des personnes était garantie par le premier principe de justice et qui reste premier pour Rawls (31).

Il n'en demeure pas moins que la philosophie rawlsienne poussée à l'extrême peut parfaitement conduire aux dérives dénoncées par Nozick. Quelle limite fixer en effet aux prélèvements obligatoires et même si ceux-ci sont justifiés à des fins sociales ? Cette fin même n'est elle pas devenue un alibi et ne dissimule-t-elle pas souvent des logiques de capitalisme d'État ?
Jusqu'à un certain point le prélèvement fiscal n'est-il pas - comme le craignaient les anciens - un autre moyen d'assurer la tyrannie en accablant les sujets d'impôts et en leur interdisant ainsi de penser à autre chose qu'au moyen de les régler, se désintéressant du reste et notamment de la chose publique ?
Offried Hoffe note d'ailleurs à ce sujet que «plus on approche de l'Etat pleinement social, plus nous risquons de voir l'Etat nous reprendre cette liberté. »(32) Les risques démocratiques que font peser sur nous l'Etat providence doivent-ils nous conduire vers l'Etat veilleur de nuit de Nozick? 
C'est évidemment ce que souhaite ce dernier qui considère que l'abus est consubstantiel avec l'idée de social démocratie et qui critique ainsi plus généralement la vision sociale de Rawls.

Vers:  D) Critique de la vision rawlsienne du juste et de la nécessité

(Notes en lien ouverture nouvelle fenêtre)

Copyright Jean Jacques SARFATI professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de Paris

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