° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE par Jean Jacques SARFATI 

 jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr

La critique de John Rawls par Robert Nozick  dans «Anarchie, État et utopie»

Pages: 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 - Notes

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III - Conclusions et synthèses personnelles de la critique de Nozick

Le travail réalisé par Nozick sur la théorie rawlsienne reste sans doute l'un des plus complets qui puisse exister sur la théorie rawlsienne de la justice. Il permet de mettre en évidence les problèmes que risquent de poser la théorie rawlsienne et nous semble pertinent sur trois points au moins.

    - En premier lieu, il nous semble que Nozick a raison de critiquer le caractère trop fictif et finalement assez peu plausible du système de voile d'ignorance imaginé par Rawls.

Ce choix procédural n'est pas sans poser quelques problèmes. II est difficile de vouloir s'abriter, comme le fait Rawls, derrière cette fiction, uniquement pour fonder sa propre conception de la justice, au demeurant fort importante, mais peut-être trop importante pour devoir s'embarrasser d'une construction qui ne résiste pas selon nous à la critique nozickienne.
De plus, les questions de justice sont trop importantes pour n'étre fondées que sur des idéaux qui veulent ignorer le réel. Toute théorie de la justice se doit de partir de ce réel pour tenter d'aboutir peu à peu à l'idéal et non l'inverse,nous semble-t-il. En tout état de cause, elle ne peut ignorer les contraintes du réel.

     - La seconde critique - tout à fait recevable selon nous- que Nozick fait de la conception rawlsienne de la justice est celle par laquelle les plus favorisés sont contraints à faire oeuvre de justice envers les plus démunis.

La contrainte présente ici en effet de réels dangers. Elle fusionne droit et morale et l'on sait que si l'un et l'autre doivent être liés, il n'est pas bon de les confondre. La confusion interdit d'ailleurs de créer ces liens nécessaires car comment lier ce qui est semblable?
De plus, cette théorie laisse supposer que les personnes favorisées par le hasard de la vie ou les talents sont nécessairement tous insensibles aux malheurs des autres. Elle ne fait que favoriser la méfiance entre les membres de la société, les contraint à ne s'aider que par le seul truchement d'une structure autoritaire tierce qui risque de les séparer peu à peu les uns des autres. Cette théorie poussée à son extrême peut de même introduire un climat de réclamations permanentes vers les plus favorisés et ceux-ci risquent au contraire de durcir leurs positions.

Est-il pour autant certain que les bons sentiments que Nozick prête nécessairement aux favorisés de la terre soient tout aussi réalistes ? Nous ne le pensons pas, évidemment .

     - Enfin, nous ne sommes pas éloignés de Nozick dans la crainte que ce dernier peut avoir d'un pouvoir étatique trop fort. Là où nous divergeons de lui, c'est qu'il est effectivement utopique de penser que la justice peut s'installer ainsi entre riches, pauvres, intelligents ou personnes moins douées uniquement de manière naturelle. La nature ici a besoin d'être aidée sans nul doute.

Les questions que Nozick pose à la théorie de Rawls nous semblent donc essentielles. Cependant, malgré leur pertinence, elles pêchent, selon nous, par leur réelle indifférence à l'autre. Le système d'un libéralisme débridé a, en effet, montré ses limites et il nous paraît difficile d'y revenir purement et simplement. Dans le même temps toutefois, nombre des craintes de Nozick se sont avérées être aujourd'hui une réalité dans de nombreux États "providence".

Une véritable théorie de la justice sociale devrait donc, si possible, avoir la générosité de Rawls - et dans le même temps - aimer la liberté tout autant que R. Nozick. Mais comment concilier ce qui semble difficilement conciliable ?Comment parvenir à unir ce qui - a priori- semble s'opposer ?

Nous pourrions le faire par une série de questions à poser et qui seraient les suivantes :

- Comment penser effectivement un système de justice sociale qui ne rognerait pas trop la liberté en augmentant systématiquement les sujétions sociales?

- Comment éviter que la confusion ne s'installe entre droit et morale?
Contraindre un citoyen à la charité présente effectivement en soi un caractère immoral, voire périlleux à terme et Nozick a raison de le souligner.

- Comment intervenir pour réduire les inégalités sociales sans ignorer les conséquences que ces interventions pourraient avoir sur les blocages à l'innovation et les découragements qu'elles entraîneraient, les nécessaires ruptures du lien social qu'elles finissent à terme par créer en dessaisissant les citoyens ?

- Comment éviter que les États puissants - qui se constitueraient sous le prétexte de cette justice sociale - ne soient pas utilisés pour le seul bénéfice de quelques uns et ne conduisent pas à des logiques de capitalisme d'État ?
Mais dans le même temps comment admettre, comme le souligne Rawls que la « structure de base » de cette collectivité, demeure inerte face à la pauvreté, la souffrance et le malheur d'autrui, du voisin, du proche ? Une telle inertie dans des pays où de nombreux citoyens vivent en toute prospérité n'est-elle pas plus injuste ? 

Pour répondre à ces questions, d'autres nous viendraient à l'esprit et elles seraient autant de critiques que nous proposerions à la fois du travail de Nozick et de Rawls.

Vers:  Critiques que nous proposerions à la fois du travail de Nozick et de Rawls.

(Notes en lien ouverture nouvelle fenêtre)

Copyright Jean Jacques SARFATI professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de Paris

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