° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE 

Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI  

Bienfaits et méfaits des positivismes juridiques

(pour un retour de la préoccupation du juste dans le droit et le politique)

 

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II) le positivisme épistémologique ... s’égare

- D’autre part, le positivisme épistémologique lui-même s’égare et contrairement à ce que Bobbio pense il n‘est pas aussi neutre qu‘il y paraît philosophiquement.

Il n’est pas neutre car celui qui prétend que le droit se résume à la loi induit des croyances, suscite une forme de résignation qui en soi peut finir par produire que ce qui est affirmé finit par se révéler vrai, ce même si à l’origine il ne l’était pas nécessairement.

Ce positivisme « épistémologique » qui prétend n’étudier que la loi pour connaître le « droit positif » n’est surtout pas dans le vrai car, celui qui étudie le droit , sait aussi que la loi et les décisions administratives ne suffisent pas à déterminer celui-ci dans sa réalité ou dans sa «phénoménalité» . Une loi et une pratique s’interprètent suivant certains schèmes et la connaissance des schèmes d‘interprétation - dans un pays ou un groupe- est parfois tout aussi importante pour connaître un droit que la connaissance de la loi elle-même. Il en est de même des « coutumes » ou usages à l’égard de certains comportements. De plus, eu égard au phénomène d’inflation juridique, nos sociétés hyper-modernes ne vivent plus vraiment sous l’empire de la loi. Elles vivent plutôt une forme de « sous-positivisme » réel qui fait que , du fait de l’ampleur des législations, de leurs complexité, rares sont ceux - même les gouvernants- qui connaissent la loi dans sa totalité et l’appliquent totalement. Outre une tentation- bien humaine semble-t-il - qui consiste à vouloir appliquer à d’autres des principes que l’on respecte peu soi-même, la prolifération législative induit aujourd’hui - comme le rappelait récemment de fins connaisseur de ces sujets des mutations profondes de notre comportement à l’égard de la loi.

En premier lieu, celle-ci n’est plus cette règle intangible. Elle n’est souvent plus considérée que comme « une hypothèse corroborée » (3 ) ou «  un segment de théorie, un segment de généralité d’ailleurs plus ou moins grande en telle sorte que l’appellation même de loi pour une formule plutôt que pour une autre demeure largement pragmatique… » (4). Les praticiens eux-mêmes notent même « le lointain sacré de son apparence rigide »  et  le fait que, cette loi, « devient parfois de l’argile dés lors qu’elle se trouve interprétée et appliquée par l’homme » (5).

André Jean Arnaud accentue ce sentiment d’ignorance pragmatique contemporaine de la loi. Il nous informe ainsi du fait que, dans les grandes structures « on parle désormais moins de respect des loi que de coût de soumission ou de coups de compromis. » . Il ajoute d’ailleurs qu’ : «  une entreprise d’une certaine envergure ne se soucie plus de respecter la loi parce que la loi doit être respectée ; elle raisonne en faisant des calculs pour savoir quels seront les coûts qu’elle aura a supporter en tant qu’agent économique fondamental pour la survie et le développement de la société, si les obligations imposées par les dispositions légales et réglementaires fiscales et autres sont respectées. Dans la négative, tout sera mis en œuvre pour faire pression sur l’auteur de ces dispositions en attendant un éventuel changement, l’entreprise fera évaluer quel sera le coût du compromis en cas de problème juridique. » (6) Pour lui, la loi - en tant que telle et non le « droit » s’efface donc de fait peu à peu - malgré son apparente omniprésence. Il prédit d’ailleurs qu’à l’avenir « les relation juridiques s‘organiseront selon des règles soit coutumières soit écrites qui seront plus difficiles à repérer que celles qui se trouvent dans nos recueils de législation et de jurisprudence.  » (7).

Enfin, C. Attias note certes, l’attitude « servile » (sic) de certains magistrats qui se dissimulent : « derrière la lettre de la loi pour renoncer à toute analogie, à toute interprétation voire à toute recherche de justice…. ». Mais il ajoute aussitôt à notre perplexité en nous précisant par surcroit : « encore n’adoptent-ils cette attitude que de façon intermittente lorsque les circonstances ne les conduisent pas à se libérer purement et simplement de la loi…» (8).

En conséquence, apprécier les positivismes juridiques nous incite à lire avec attention ce que les positivistes juridiques nous enseignent mais nous demandent également de ne pas tenir pour acquis ceux qu’ils prétendent vouloir nous enseigner. La loi en effet est loin, dans notre société, de constituer le « tout » du droit. Les connaisseurs de ces sujets en témoignent (malheureusement ou heureusement)

Quoi qu’il en soit, cet enseignement positiviste est au cœur d’un malaise profond de notre politique qui désormais se résume à de purs choix procéduraux, à des décisions qui nous écartent du juste et risquent à terme de le faire s’atténuer en sa présence même.

Or, il est un élément que nous devons ne pas oublier me parait-il: faire disparaître le souci du juste des hautes sphères du pouvoir peut induire de fâcheuses conséquences pour notre démocratie et le lien social. En effet, l’injuste fait tout n’importe comment. De fait il fait tout « injustement ». En conséquence, il désigne qui de droit à un poste qu’il ne devrait pas occuper. Ce faisant il commet et fait naître deux types de souffrances : l’une pour celui qui est désigné et occupe une fonction qui ne lui convient pas et l’autre pour ceux qui auront à subir le joug de ceux qui auront -mal - été désignés.

Ces souffrances en induisent d’autres - car les frustrés finissent nécessairement par vouloir frustrer les autres d’un bonheur qu’ils ne connaissent pas.

De frustrations en frustrations un pays (un groupe, ou une société) se délite ainsi « par le haut » et finit rapidement par atteindre tout l’ensemble…Et cet ensemble finit par n’en être plus réellement un: il se délie définitivement

En conclusion, toute provisoire, la philosophie politique et juridique -le droit en son ensemble- doit selon moi ne pas être positiviste mais ces pensées doivent se « battre » conjointement sur deux fronts :
- au pire, et pour éviter le pire : maintenir l’autorité et la force de l’Etat de droit au sens positiviste du terme mais

- au meilleur tenir cette situation pour un pis-aller et tout faire pour

  • a) sélectionner les plus justes afin qu’ils gouvernent
    b) former les citoyens à ce choix du plus juste pour eux et pour les autres et le public
    c) déterminer avec le plus de précision possible ce qu’est que ce juste là

Jean-Jacques Sarfati. Professeur de Philosophie. Ancien Avocat à la Cour d’Appel de Paris.

 

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Notes :
(3). Archives de philosophie du droit. Sirey 1980. T 25 La loi. JL Vuillerme in « La loi dans le droit, les sciences, la métaphysique, premières tentatives d’orientation » p 47 p 64.
(4) Ibid et même auteur p 68
(5) JC WOOG « pratique professionnelle de l’avocat ».Litec 1991 p 18
(6) Sous la direction de M Troper et F Michaut « L’enseignement de la philosophie du droit ». Bruylant. LGDJ 1997.Article de A J Arnaud. p 157.
(7) Ibid Arnaud p 159 .
(8) C. Attias «Philosophie du droit ». PUF 2004 p 296

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