° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE 

Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI  

Bienfaits et méfaits des positivismes juridiques

(pour un retour de la préoccupation du juste dans le droit et le politique)

 

Pages 1 et Page 2

Philagora tous droits réservés
_____________________________

On assimile souvent le positivisme juridique à la doctrine de H Kelsen et on estime que cette philosophie du droit se réduit à considérer que la loi est le tout du droit.

Mais comme l’a à juste titre rappelé N. Bobbio, il y a deux positivismes juridiques :
- le premier considère effectivement en tant que doctrine philosophique qu’il est nécessaire de réduire le droit à la loi. En termes plus juridiques, il considère que la seule source du droit doit être la loi prise au sens moderne du terme, c’est-à-dire: un texte adopté par une instance étatique. Appelons cette doctrine, le positivisme philosophique ; (1)
- Il existe un second positivisme juridique. Celui-ci est purement épistémologique. Il considère que celui qui entend aujourd’hui étudier le droit se doit de connaître toutes les productions normatives des instances étatiques. Appelons cette doctrine le positivisme épistémologique et considérons qu‘il consiste à former les étudiants en droit à la seule étude du droit positif.
Ces deux positivismes ne méritent, selon moi, ni les excès d’honneur ni les attaques qui leur sont adressés.

 

I ) Pour les attaques, il convient selon moi de ne pas se méprendre sur les avantages indéniables de ces doctrines.

- En effet, le positivisme philosophique part d’un postulat qui est directement issu de la conception des lumières et de la modernité. Il tient l’homme pour un loup pour l’homme (Hobbes), ou - au mieux- il le tient comme bon par nature mais dégénéré par la société( Rousseau) ou comme ayant besoin d’un « cadre » pour vivre en paix et en sécurité( Locke) . Dans tous les cas, il pense que la loi est un élément propre soit à le civiliser, soit à limiter ses appétits voraces soit à lui assurer la paix et la sécurité minimale. Le fameux précepte de Montesquieu résume bien cette idée : il n’y a que le pouvoir pour arrêter le pouvoir. En d’autres termes, le positivisme juridique a peu de confiance aux hommes, lorsqu’ils exercent le pouvoir, ou le subissent d’ailleurs, et il considère qu’il faut systématiquement poser « des gardes fou » pour leur éviter de trébucher ou afin d’éviter qu’ils n’abusent de leurs libertés. En ce sens ce positivisme estime que la loi est la seule garante, propre à prévenir ou sanctionner les trop fréquentes transgressions.

En un certain sens, pour celui qui lit les récits historiques ou subi parfois le joug de son semblable, une telle thèse n’est pas dénuée de pertinence. Le pouvoir devient en effet vite un méfait lorsqu’il est entre les mains d’un (ou d’une) incapable et dans des pays ou des lieux ou celle-ci est absente, les souffrances causées par de tel(le)s incapables peuvent s’avérer irrémédiables s’il n’est rien pour les limiter ou pour les dissuader d’abuser des prérogatives qui leur ont été accordées. Comme le rappelait K Popper, il n’est pas rare en effet que les fonctions d’autorité soient fréquemment confiées à des êtres peu qualifiés à cet effet. (2)

- Quant au positivisme épistémologique, il n’est pas lui-même dénué de valeur. En effet, celui qui étudie le(s) droit(s) sait bien qu’il est peu fréquent que ceux-ci soient autre chose que les préceptes ou commandements des autorités étatiques en place. Le dit droit est souvent peu en phase avec l’idée que l’on peut se faire de la justice. En d’autres termes, pour celui qui veut effectivement connaître le mode de raisonnement de ces autorités ou celui qui entend savoir ce qui structure le droit des sociétés qu’il entend pénétrer, il est préférable de connaître et les lois, et les pratiques administratives du pays ou de la société considérés.

II) Cependant, je ne suis et ne serai jamais positiviste car cette philosophie ne mérite nullement les excès d’honneur que d’aucuns lui attribuent. Il me paraît même qu’une telle doctrine pose de sérieux problèmes à toute évolution « positive » de notre pensée et de notre pratique politique et juridique. En effet :
- D’une part, il est périlleux, comme elle le fait de séparer le droit du juste. La raison de cette séparation est on ne peut plus certaine pour moi. Le fondement et la légitimité du politique ne se situent pas dans la force mais dans le juste. Rousseau l’a bien montré dans son fameux chapitre 3 du livre I du Contrat social. Citons le à nouveau : «  celui qui est fort, n’est jamais assez fort pour être toujours le maître ». Il ne l’est jamais assez car la véritable force politique ne se trouve pas dans la force physique mais bien dans le sentiment que celui qui nous gouverne est légitime pour le faire. Le bon sens commande une telle affirmation. Si l’on considère que le juste est celui qui donne à chacun ce qui lui revient - parce qu’il est selon moi ce qui fonde même l’idée de limite et donc sait les limites exactes de toute chose - il n’est que juste que celui qui gouverne soit le plus juste des hommes (ou des femmes) du groupe considéré. En effet, le gouvernement se résume essentiellement à deux fonctions : d’une part mettre à la bonne place ceux qui doivent les occuper afin de faire en sorte que le travail nécessaire à la cité soit bien opéré ( et que ceux qui font ce travail n’abusent pas des prérogatives accordées ou alors qu’ils soient sanctionnés dans cette hypothèse) et d’autre part, trancher en toute justice les conflits qui ne peuvent être résolus par les instances inférieures nommées par le gouvernant. Louis XIV lui-même, ce roi qui fut pourtant symbole de la monarchie absolue le reconnait. Pour lui «la principale fonction du monarque est de mettre chacun des particuliers dans le poste ou il peut être utile au public »(2a). Certes, son erreur vient de ce qu'il tient "l'utile" pour l'adéquat ou le "juste" mais il n'en demeure pas moins que ce despote - pour d'aucuns au moins- tenait bien la fonction gouvernementale suprême comme une fonction de désignation. (2a)

Le droit ne peut être dit que par le juste si l’on entend que le droit est ce qui doit être. Dès que le droit n’est pas dit par le juste, il cesse d’être droit pour devenir « courbe » ou « non-droit » et ainsi il perd même sa raison d’être. Il n’est plus - non de la force comme Rousseau le prétendait - mais pis, c’est de l’erreur, de la bêtise et la stupidité qui gouverne n’importe comment un Etat. Gouverner n’importe comment ce n’est pas gouverner « droit ».

Le positivisme philosophique est donc dans l’erreur la plus absolue lorsqu’il prétend qualifier de « droit » tout ce qui est ordonné par la loi. N’est « droit » que ce qui est décidé par une personne juste. La personne juste certes sait interpréter « justement » les lois, il sait faire adopter de justes lois et choisir la loi juste qui convient. Mais ce n’est pas la loi qui fait le juste. Le juste est « autre », il a à faire avec la notion de limite.

Vers la page suivante: II) le positivisme épistémologique ... s’égare

 

Notes :
(1) N. Bobbio « Essais de théorie du droit » Bruylant LGDJ. 1998 Trad M GUERET et C Agostini Préface R Guastini p 1 à 30. On peut considérer qu’en un sens Bobbio est un positiviste qui a tenu compte des critiques jus naturalistes et qui cherche un juste milieu. Il écrit en effet : « L’idéologie du positivisme juridique n’est abstraitement considérée ni meilleure ni pire qu’une autre. Elle ne conduit pas non plus à la dictature qu’elle ne conduit à l’état de liberté…les lois positives sont des moyens pour réaliser certaines fins…l’obéissance scrupuleuse aux lois est recommandable quand les fins sont bonnes elle est à déconseiller quand les fins sont mauvaises  » p 32
(2) La démocratie ouverte et ses ennemis.
(2a) Mémoires de Louis XIV Paris 1927 p 271
------------------

° Rubrique Droit et Justice   jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr

2010 ©Philagora tous droits réservés Publicité Recherche d'emploi
Contact Francophonie Revue Pôle Internationnal
Pourquoi ce site? A la découverte des langues régionales J'aime l'art
Hébergement matériel: Serveur Express