° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE par Jean Jacques SARFATI 

 jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr

Tentative critique et interprétative de la vision de la peine et du Droit pénal chez M. Foucault 

Pages: 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - (Notes)

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Première sous partie. (suite)
B) Une démarche volontairement imprécise dans ses objectifs .

La posture foucaldienne se caractérise également par un second trait qu'il convient d'exposer : l'imprécision des mobiles. Que cherche Foucault en étant à la fois si ambigu et dans le même temps en opérant une étude de la pénalité aussi radicale ?

Ici aussi, son travail ne se prête pas aisément aux réponses simples car à aucun moment, il ne propose de système alternatif pour remplacer celui qu'il dénonce. Jamais il ne nous dit ce que pourrait, selon lui, être la peine juste ou un système pénal adapté. Jamais, nous le savons, il ne nous livre « sa philosophie », ni ne nous précise s'il est marxiste, socialiste, libertarien, libéral ou anarchiste sur le sujet.

Pourquoi ? Nous l'avons indiqué plus avant : Foucault semble avoir le souci de demeurer cohérent avec une attitude de refus face aux discours construits, mais aussi pour des raisons conjoncturelles que nous évoquerons, et enfin peut-être pour s'assurer une forme de liberté dans l'imprécision volontairement entretenue.

En ne nous enfermant pas et en ne s'enfermant pas lui-même dans un discours trop construit, Foucault s'autorise ainsi à nous poser des questions nouvelles sur le droit pénal et sur la peine contemporaine. Ces questions s'ordonnent autour de quatre axes : un axe politique, un axe philosophique, un axe purement moral et éthique et enfin un axe stratégique.

1° L'axe philosophique

Dans l'axe philosophique, en étant imprécise sur les fins poursuivies, l'oeuvre s'autorise ainsi à interroger directement ce que l'on n'interroge plus. Sans toutefois tomber dans l'anarchisme, Foucault nous demande en effet pourquoi nos sociétés ont fait de la prison la peine par excellence ?

En étudiant la prison, en la remettant en cause sans cependant contester ouvertement son utilité et en étendant son travail aux écoles, aux casernes, Foucault souhaite également étudier la société à travers la prison, voire au contraire faire de la prison l'alibi commode pour évoquer la vision de la société qui est la sienne (6).

De plus, lorsqu'il est interrogé, il nous donne d'autres explications de son travail et c'est cette liberté qui l'autorise à agir ainsi. Il peut alors se démentir. Il nous indique que ce qu'il a voulu plutôt se demander dans « Surveiller et punir », la question centrale qui est sienne sur la pénalité, est surtout celle de savoir non « si une société peut fonctionner sans culpabilité, mais si la société peut faire fonctionner la culpabilité comme un principe organisateur et fondateur d'un droit. » (7).
Dès lors, il nous interpelle autrement sur le droit pénal, il peut philosophiquement, à la manière de Socrate, adapter son discours en fonction de l'interlocuteur qui se trouve en face de lui, voire des inquiétudes qui sont les siennes au moment où il s'exprime.

2° L'axe éthique

Dans l'axe éthique, c'est un certain souci de cohérence que s'autorise Foucault en refusant de nous livrer sa philosophie sur le sujet. Pourquoi en effet exposer un système alternatif sur le droit pénal et la peine et pourquoi s'affirmer libéral ou socialiste sur ce point, semble-t-il nous dire ? Ce qui importe n'est pas le système ou l'idéologie mais la manière dont ils sont mis en oeuvre. Ce qui importe donc est de dénoncer les abus de ceux qui existent pour limiter les erreurs et revenir à plus de justesse plutôt que de proposer un autre système qui générerait d'autres abus.

Le pouvoir est dangereux en lui-même, tout comme le fait de punir, paraît-il nous indiquer ; ce qui importe c'est essentiellement de le critiquer pour limiter les excès qu'il pourrait commettre et non de prendre sa place. Foucault serait-il en proximité avec Kant et ce refuge dans une posture essentiellement critique lui permet-elle de se rapprocher de lui ?

Il lui est effectivement arrivé de se revendiquer du philosophe allemand. Dans un court texte rédigé à l'attention d'un dictionnaire de philosophes, à la rubrique Foucault, celui-ci avait écrit, à propos de lui-même, parlant à la troisième personne : « Si Foucault s'inscrit bien dans la tradition philosophique, c'est dans la tradition critique qui est celle de Kant et l'on pourrait nommer son entreprise : histoire critique de la pensée » (8).

3° L'axe politique

Dans l'axe plus politique, l'imprécision des objectifs autorise implicitement un rejet, celui de toutes les philosophies politiques globalisantes. En refusant de se fixer sur ce point, Foucault nous indique aussi à sa manière qu'il rejette toutes les théories trop marquées, trop affirmées et qui auraient réponse à tout.

Il écrira d'ailleurs : « Je ne voudrais pas que ce que j'ai pu écrire ou dire apparaisse comme portant en soi prétention à la totalité. Je ne veux pas universaliser ce que je dis... Mon travail est entre des pierres d'attentes et des points de suspension... » (9).

 4° L'axe « stratégique »

Mais l'imprécision permet également à Foucault de se déployer sur un autre axe plus stratégique. Elle permet la dispersion pour dissuader les polémistes qu'il avait en détestation selon ses propres mots. Comment en effet critiquer trop ouvertement et fortement un discours qui se contredit et se critique lui-même et n'affirme pas clairement ses options ?

Elle permet (qui sait ?) de ne pas trop déplaire à tous et de chercher en chacun une part de vérité, d'exposer ainsi des idées qu'un Dumézil qu'il admirait n'aurait pas reniées tout en se sentant proche d'une « pensée 68 » dont Blanchot a rappelé que Foucault était l'un des représentants les plus significatifs (10).
Ces incertitudes sur les fins, sur la méthode, sur la philosophie même, tel est à notre sens l'autre pan de la posture foucaldienne ; elles complètent cette double démarche critique que nous avons évoquée. A ces deux aspects s'en ajoute un troisième, complémentaire des deux autres : la volonté forte de dénoncer toutes les duperies du système.
 

C) Une volonté forte de dénoncer toutes les duperies du système .

Pour Foucault, droit pénal, peine, prison, pouvoir et stratégies de pouvoir semblent constituer un tout cohérent qu'il faut étudier conjointement, qu'il ne faut aucunement séparer. Or selon lui, ce « système » produit des textes, des discours, des institutions comme la justice ou une prison prétendument humaniste et ces productions ne sont souvent que des duperies destinées à nous abuser.

Il s'agit ici, et selon lui, de productions stratégiques, de masques dont le but est non seulement de nous tromper, mais plus encore de nous distraire pour nous interdire de connaître le réel tel qu'il est. Droit pénal, tribunaux et peines, philosophie humaniste ne sont en réalité que des apparences. Ils ne reflètent en rien notre attitude effective face à la délinquance et à la pénalité. Ils ne permettent nullement de connaître l'intention de ceux qui ont le pouvoir dans notre société mais au contraire ne sont pensés que comme instruments de diversion à leur service /

Or Foucault n'admet pas cette duperie. Il ne veut pas que nous en soyons dupes et ne veut pas lui-même être abusé car, selon lui, en étant trompés sur la réalité, nous pourrions à nouveau nous retrouver enfermés.

Dès lors, pour sortir de l'enfermement, Foucault adopte une autre démarche : il dénonce, il veut démasquer toutes ces duperies et pour ce faire il nous dévoile ce que nous n'avons pas vu. Il nous informe avec virulence sur ce que l'on entend nous cacher.

En dénonçant, il accentue ainsi sa liberté et la nôtre. Certes il ne précise pas sa philosophie, certes il est lui-même critique sur son discours, mais en tout état de cause il n'entend participer à aucune duperie, donc ne veut pas nous aliéner et pour ce faire se propose de les dénoncer, de retirer tous les masques.

Dès lors, il se pose d'une autre manière : plus qu'en critique, il s'affirme véritablement en observateur prêt à dénoncer toutes les dérives, rappelant aux pouvoirs en place qu'il saura, lui, demeurer vigilant et qu'il ne se laissera pas abuser.

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