° Rubrique Aide aux dissertations de philosophie

Thèmes: L'individu / Le droit / La morale

EST-IL ABSURDE DE DESIRER L'IMPOSSIBLE ?
 

Une dissertation rédigée, par Charles Pépin, professeur agrégé de philosophie

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(II.Soupçon. Est-ce si absurde ?)

(II.A Et si l'impossible devenait possible ?)

Pour que << désirer l'impossible >> apparaisse vraiment comme absurde, il faudrait, d'une part, que toute souffrance soit nécessairement absurde, d'autre part, que << l'impossible >> renvoie à quelque chose d'objectif. Or, rien n'est moins sûr. Cette femme insensible au charme de cet homme ne peut elle pas changer ? Voler était pour les grecs absolument impossible en même temps que l'objet des désirs les plus fous, tel celui d'Ycare. C'est aujourd'hui possible : il suffit de prendre l'avion, ou d'effectuer un vol en chute libre vêtu d'une de ses combinaisons spéciales, qui font des ailes aux hommes lorsqu'ils ouvrent leurs bras. Le progrès technique a été aussi important pendant les cinquante dernières années que pendant tout le reste de l'humanité passée. Comment alors ne pas douter de l'objectivité de << l'impossible >> ? Un des désirs humains les plus extrêmes, le désir d'immortalité, apparaît aujourd'hui bien moins délirant qu'hier : n'envisage-t-on pas déjà de congeler les corps (cryogénisation) et de télécharger le contenu de la conscience sur des supports informatiques ? Il n'est donc pas absurde de désirer l'impossible : parce qu'il n'est pas absurde que l'impossible devienne possible.

(II.B. Et si désirer l'impossible nous permettait de << nous développer >> ?)

Mais si un tel désir n'est pas absurde, c'est peut-être aussi parce que je me développe en tant qu'humain lorsque je désire, même lorsqu'il est impossible de satisfaire mon désir. Il est fort probable que désirer voler, à l'époque où cela était impossible, ait été un moteur important de développement des facultés humaines, de la raison aussi bien que de l'imagination. Si le mythe d'Ycare symbolise le danger des désirs impossibles à satisfaire, on peut lui opposer la figure de Léonard de Vinci. Probablement le désir de voler a-t-il été décisif dans le développement du savant mais aussi du dessinateur et de l'artiste multipliant les croquis d'hypothétiques appareils volants. Il faut bien comprendre que le désir n'appartient pas seulement à la sphère du corps, qu'il faudrait opposer à celle de la raison. Lorsque Swann, dans la << A la recherche du temps perdu >> de Proust, désire l'amour d'Odette, il développe sa sensibilité (en étant de plus en plus sensible à des détails infimes), son intelligence stratégique (en concevant différents plans pour la séduire), son imagination...et ce alors même qu'il ne peut jouir de l'objet de son désir. << Le charme de l'auberge réside dans le chemin qui y mène >>, écrit le mathématicien Lorca, suggérant par là même que c'est de désirer qui est << charmant >>, riche, intéressant, plus que de satisfaire l'objet de son désir. C'est peut-être d'ailleurs pourquoi notre désir, à peine satisfait, se fixe assez vite sur un nouvel objet. << La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un coeur d'homme >>, écrit Camus dans << Le mythe de Sisyphe >>, cet homme condamné par les dieux à accomplir l'impossible tâche d'arrimer un rocher en haut d'une montagne qui ne s'y prête pas. Camus signifie par cette phrase que ce qui remplit un coeur d'homme est la quête plus que la possession : de désirer plus que de satisfaire son désir, car le désir s'accompagne d'attente, d'espérance, de projection, d'imagination...de toute une vie probablement plus riche que celle qui nous habite lorsque nous pouvons satisfaire notre désir. D'ailleurs, l'ennui qui surgit assez vite après la satisfaction le dit à sa façon.

(II.C Et si c'était la véritable nature du désir que de viser l'impossible ?)

Enfin, lorsque

nous observons la manière dont notre désir à peine satisfait renait toujours en visant un nouvel objet, nous pouvons

nous demander si notre désir ne vise pas toujours quelque chose qui est au-delà de l'objet désiré. Ainsi Platon expliquait-il que si notre désir n'est jamais entièrement satisfait, c'est parce qu'il vise en fait l'éternité : parce que tout désir (désir sexuel, désir de briller en société, désir de savoir...) est en son fond un désir d'éternité. L'éternité serait donc le seul objet capable de combler notre attente et c'est pourquoi, n'étant pas éternels, nous ne pouvons trouver la satisfaction.

Texte // << T'imagines-tu (...) qu'Achille aurait suivi Patrocle dans la mort, que votre Codros serait allé au devant de la mort pour conserver la royauté à ses enfants, si tous ils ne s'étaient imaginés laisser de leur excellence un souvenir immortel, celui que nous conservons encore d'eux ? Tant s'en faut, poursuivit-elle. C'est plutôt, j'imagine, pour que leur excellence reste immortelle et pour obtenir une telle renommée glorieuse que les êtres humains dans leur ensemble font tout ce qu'ils font (...) Car c'est l'immortalité qu'ils aiment >>, Platon, Le Banquet, 208 c1e1 (traduction Luc Brisson)

Hegel développera un raisonnement analogue en montrant que tout désir est en son fond un désir de reconnaissance : lorsque nous désirons tel objet, tel mode de vie... nous désirons en fait que notre valeur soit reconnue par les autres. Or, nous n'aurons selon Hegel jamais assez de reconnaissance car nous savons que nous sommes mortels et souffrons d'une blessure non cicatrisable. Ne peut-on alors dire que c'est l'essence même du désir de viser l'impossible ? L'éternité, la reconnaissance totale et définitive de sa valeur, mais aussi la toute puissance, la perfection, le bonheur parfait... Tous nos désirs ne visent-ils pas, en secret, un tel impossible ? N'est-ce pas d'ailleurs ce qui en fait la force ? Que reste-t-il du désir humain s'il n'est plus désir de l'impossible ?

C'est peut-être bien ce qui distingue le désir du besoin. La plupart du temps, lorsque nous respectons les conditions de vie normale de la nature humaine, les besoins sont possibles à satisfaire. Si le désir n'est pas le besoin, c'est peut-être justement qu'il vise l'impossible. Il n'est donc pas absurde de désirer l'impossible : c'est le sens même, certes souvent caché, du désir.

Mais plus encore, si nous pensons que tous nos désirs visent en fait plus ou moins secrètement des absolus, des << impossibles >> comme l'éternité, la perfection, la reconnaissance, le bonheur...alors ils ne sont pas absurdes, insensés, mais pour une autre raison : ils donnent un sens à notre vie.

(Transition)

C'est pourquoi il nous faut maintenant distinguer, au sein de ces désirs visant l'impossible, ceux qui ont ce pouvoir, même lorsqu'ils sont non

satisfaits, de réguler positivement notre vie, de ceux qui, trop déconnectés du réel, n'ont pas ce pouvoir positif. Autrement dit, il faut distinguer l'impossible comme idéal régulateur de l'impossible comme utopie dangereuse.

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