Introduction
Elle lui a dit non, et plusieurs fois. C'est sans appel. Cet homme,
pourtant, persévère dans son désir de vivre l'amour avec une femme qui
ne veut pas de lui. Est-ce absurde ? Cela n'a-t-il vraiment aucun
sens ? Oui, si l'on pense, dans une logique « utilitariste », qu'il va
souffrir, attendre, espérer…et ne rien obtenir en échange. L'absurdité
désignerait quelque chose d'illogique, de contreproductif qui, dans
une optique de calcul, ferait de cet homme un perdant.
Mais si l'on pense que l'absurde renvoie à ce qui n'a absolument aucun
sens, ne va dans absolument aucune direction, il est difficile de
qualifier d'absurde ce désir d'un amour impossible, même s'il fait
souffrir. Cet amour à sens unique peut n'être pas complètement
insensé. Par exemple, il peut en apprendre beaucoup à cet homme sur
lui-même, lui permettre de développer des facultés - une sensibilité,
une imagination… qu'il n'aurait pas développées s'il lui avait été
possible de vivre l'objet de son désir.
On le voit, la question du sujet nous oblige à en poser d'autres.
Qu'est-ce qui est important dans le désir ? Est-ce la satisfaction
effective ou le fait même de désirer, d'être porté vers un objet dont
on manque et dont on imagine qu'il va nous procurer une satisfaction ?
L'impossibilité est-elle objective ? Ce qui est impossible aujourd'hui le
sera-t-il demain, surtout en un temps d'accélération inouï du progrès
technique ? Comment alors oser qualifier d'absurde un désir visant un
impossible dont nous ne pouvons être sûrs qu'il le restera ?
Enfin, l'impossible renvoie-t-il à un désir ravageur, à une utopie
destructrice, ou à un idéal qui pourrait être positif, régulateur ?
Ces questionnements introductifs nous permettent de poser le problème
suivant : faut-il, au nom de la souffrance, voire de la folie, qui
guette celui qui désire l'impossible, qualifier d'absurde un tel désir
- d'absolument irrationnel dans une logique où l'on mettrait face à
face la perte et le gain ? Ne faut-il pas au contraire refuser un tel
qualificatif en songeant à tout ce que ce désir d'impossible peut avoir
de proprement humain, même et peut-être surtout lorsqu'il ne peut pas
être satisfait ?
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