° Rubrique Aide aux dissertations de philosophie par J. Llapasset

Une pensée cohérente est-elle nécessairement vraie?  

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Kant 1763. Tentative pour introduire dans la philosophie le concept de quantité négative. 

pensée

ici, une activité intellectuelle qui produit des jugements et qui les enchaîne dans un raisonnement.

cohérente

qualifie un raisonnement du point de vue de sa forme: un raisonnement est valide s'il est rigoureux (il n'y a pas de contradiction entre les jugements qu'il enchaîne), si du point de vue de sa forme il est accord avec la raison.

nécessairement

est nécessaire ce qui ne peut pas de pas être: donc, dans tous les cas.

vraie

conforme à son objet: caractère d'une connaissance bien ajustée à son objet.

 =>Question: peut-on confondre validité et vérité, vérité formelle et vérité matérielle?

 => Problèmes:

- "Rien n'est terrible comme la logique dans la déraison". Vinet.
- La simple forme d'un discours peut-elle nous apprendre quelque chose sur l'expérience, peut-elle nous dispenser de l'expérience?
- La cohérence est-elle un critère de vérité ou simplement une condition de la vérité d'un discours. L'existence est-elle un prédicat: peut-on déduire l'existence?


-Y a-t-il un critère universel de la vérité de toute connaissance? (ce dernier problème est traité explicitement par Kant dans La critique de la raison pure, logique transcendantale, III: utiliser la page: Critère de vérité)

=> Bien distinguer la vérité formelle et la vérité matérielle:

La vérité formelle est une qualité du raisonnement, la validité de sa forme.
La vérité matérielle c'est lorsque le contenu du jugement est conforme à son objet.

 =>Que peut nous apprendre la logique sur les choses? Pourquoi une pensée cohérente n'est-elle pas nécessairement vraie? C'est que l'opposition réelle n'est pas réductible (et donc déductible de) à l'opposition logique. Dès 1763 Kant, en montrant l'impossibilité de réduire l'opposition réelle à l'opposition logique, établit qu'une pensée cohérente n'est pas nécessairement vraie:

Kant 1763. Tentative pour introduire dans la philosophie le concept de quantité négative. 

  • Sens de la tentative:

réduire l'opposition réelle à l'opposition logique permettrait non seulement de rattacher le réel à la raison, mais de penser le réel en accordant le discours à son objet non par des expériences à l'infini mais en déduisant l'objet du discours rationnel, en calculant pour ainsi dire la réalité. On pourrait espérer conquérir la vérité non par une enquête mais par un calcul.

  • Condition du succès d'une telle tentative:

cela suppose que, comme un discours logique, une chose n'admette pas de prédicat opposé: que l'on ait la chose "A" ou l'absence de la chose "-A".

  • Cause de l'échec de la tentative:

or l'opposition réelle est irréductible à l'opposition logique car, dans la réalité, une chose admet des prédicats opposés.
Logiquement on a "A" ou "-A".
Réellement "+A" ou "-A".
Par exemple, la douleur réelle est beaucoup plus qu'un manque de plaisir, on ne peut donc la déduire du plaisir. Ou encore, le vice est beaucoup plus qu'un manque de vertu: si le vice n'était qu'un défaut de vertu, la vertu n'aurait pas grand chose à en craindre (cf. Les liaisons dangereuses de Ch de Laclos) ou encore l'impénétrabilité n'est pas une simple absence de l'attraction mais une force qui s'oppose à l'attraction, dans le monde physique, il faut donc une force pour détruire une force.

  • Conséquences de cet échec:

1) Puisque la réduction du contraire au contradictoire est impossible seule une enquête permettra d'accorder une connaissance avec son objet et une pensée cohérente n'est pas nécessairement vraie car la simple forme ne nous apprend rien sur la réalité d'une existence.

2) Alors que dans les mathématiques, les définitions sont à l'origine, en métaphysique les définitions sont au terme d'une enquête: ce n'est pas l'analyse du concept mais l'analyse du donné de l'expérience qu'il s'agit d'opérer.
Par exemple l'analyse de l'amour ne permettra jamais de déduire la force qui s'oppose à l'amour: le non amour n'est pas une absence d'amour...

  • Conclusion de l'opuscule de Kant:

La tentative pour introduire dans la philosophie le concept de quantité négative sera donc toujours vouée à l'échec: l'analyse du mérite ne donnera jamais par déduction le démérite (qui est une grandeur de sens contraire et non une simple absence, une grandeur négative).

Si la tentative de déduire le réel de la logique est vaine, alors une pensée cohérente ne pourra jamais être considérée comme nécessairement vraie. Si la cohérence est une condition nécessaire de la vérité, elle ne dispense pas de l'expérience qui seule permet d'accorder une connaissance à son objet.

Élargissement.

Se documenter sur l'expérience cruciale comme ultime tentative de réduire le contraire au contradictoire: l'échec de l'expérience cruciale condamne définitivement la confusion entre validité et vérité: La science est par essence hypothèse et vérification à l'infini. (Husserl)

L'expérience cruciale

T

 Ce serait une expérimentation qui vérifierait (au sens propre = faire vrai) un discours de la science. Son origine: Francis Bacon (1561/1626): comme le pèlerin qui se trouve devant deux directions opposées auxquelles aboutit son chemin, le savant peut se trouver devant deux hypothèses contradictoires. Il peut tenter (une des deux routes) une expérience qui permettrait du même coup d'exclure une hypothèse et de vérifier l'autre, comme le pèlerin qui a suivi la mauvaise route sait que l'autre est la bonne.
La question, qu'est-ce qui permet d'affirmer qu'il n'y a que deux hypothèses possibles, ruine la possibilité de l'expérience cruciale.
Le tableau ci-dessous vous montre qu'avec deux expériences soit-disant cruciales on "vérifie" deux hypothèses que l'on pense contradictoires (= telles que l'affirmation de l'une implique la négation de l'autre et que la négation de l'une implique l'affirmation de l'autre), alors qu'elles ne sont que contraires (la négation de l'une n'implique pas nécessairement l'affirmation de l'autre. (voir philo-aide: contraire et contradictoire)

Foucault et Lénard

*Expérience cruciale de Foucault. 1850

*Expérience cruciale de Lénard. 1903

H1:lumière formée d'ondes

H2:lumière corpusculaire

H1:lumière formée d'ondes

H2: lumière corpusculaire

Prévision, observation théorique: vitesse de la lumière + rapide dans l'air que dans l'eau.

Prévision, observation théorique: vitesse de la lumière + lente dans l'air que dans l'eau.

Prévision, observation théorique: l'énergie doit décroître de façon graduelle et continue jusqu'à zéro.

Prévision, observation théorique: l'énergie doit décroître de façon discontinue (un seul photon à la fin)

Observation réelle mesurable: la vitesse de la lumière est + rapide dans l'air que dans l'eau

Observation réelle mesurable: l'énergie finit par être égale à un seul photon sauf si aucun photon ne frappe l'écran

On se trouve donc devant deux hypothèses "contradictoires", "vérifiées" alors que l'expérience cruciale devait nous permettre un choix définitif! 
C'est que l'opposition réelle n'est pas réductible à l'opposition logique, avec pour conséquence la nécessité de distinguer validité et vérité d'un discours.

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