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Jean COCTEAU

seul avec jocaste  

 

LA MACHINE INFERNALE  

Oedipe. Le Troisième Acte: la Nuit de Noces, le montre seul avec Jocaste.

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Nous pouvons nous étonner (nous réjouir, ou nous inquiéter...) de trouver peu de sensualité dans une circonstance où elle serait légitime. L'époque où la pièce fut écrite obligeait Cocteau à cette discrétion, mais elle n'a pas dû le gêner, au contraire, car il pouvait, dans ce cas particulier, évoquer la relation entre un homme et une femme d'une façon qui, j'imagine, convenait à sa sensibilité.

Nous avons affirmé plus haut qu'il y avait réellement de l'amour entre les deux époux, et Jocaste nous l'a amplement prouvé. Qu'en est-il d'Oedipe?

Il est touchant de bonne volonté. On le sent comme ébloui de la situation où il tombe brusquement, sans préparation et vraiment désireux de ne pas décevoir.

Il ne songe pas à embrasser sa nouvelle épousée, mais il se répand en exclamations de joie, en protestations de tendresse: "Mon cher amour! une chambre de femme! une chambre qui embaume! ta chambre!" et plus loin, timidement: "ta chambre... et notre lit"..."cette nuit unique... le prodige de passer cette nuit de fête profondément seul avec toi".

Il ne lésine pas sur les compliments: "tu es belle, Jocaste! ...simple, blanche, jeune, belle... ma déesse..." Jocaste, qui voudrait rester lucide, le reprend: "il ne faut pas de mensonges". Alors, croyant bien faire, il gaffe affreusement! "un visage de jeune fille, c'est l'ennui d'une page blanche... il me faut les cicatrices, les tatouages du destin... ta figure étonnante, sacrée, giflée par le sort, marquée par le bourreau..." et, consterné de la voir en pleurs, il s'excuse de son mieux: "quel ours infect... j'ai voulu dire..."

Ce qu'instinctivement, il lui tait, il l'a avoué à Tirésias. A sa question:
"
aimez-vous la prendre dans vos bras?"
il a répondu:
"
j'aime surtout qu'elle me prenne dans les siens.. j'ai toujours rêvé d'un amour presque maternel".

Au fond, il est rassuré de trouver en elle une sorte de mère, une mère jeune que Mérope n'a jamais été pour lui, et son comportement avec Jocaste fait en effet, songer à celui d'un enfant, il l'appelle au secours quand il se croit aveuglé par Tirésias, il n'admet pas qu'il a dormi, il ne veut pas qu'on le prenne pour "un gamin"...

Pourtant, son tempérament de gagneur apparaît ici encore. Il promet: "Je relèverai ton prestige (contre Créon). Ah! Jocaste, quel beau programme!" Il est fier de l'avoir conquise par ses qualités propres: "Jocaste m'aimerait-elle si j'étais vieux, laid, si je ne sortais pas de l'inconnu?".

L'aime-t-il pour elle-même? Il veut le croire, il l'affirme à Tirésias, mais il reconnaît que "l'or, la pourpre... les privilèges... sont la substance même de Jocaste et si étroitement enchevêtrés à ses organes qu'on ne (peut) les désunir".
Sans le savoir, il justifie ses droits sur elle d'une façon dramatiquement claivoyante:
"de toute éternité, nous appartenons l'un à l'autre... j'occupe enfin ma vraie place ...c'est ma femme, c'est ma reine, je l'ai, je la garde, je la retrouve".

Sa réussite, qu'il lit de force, mais incomplètement, dans les yeux malades du vieux devin, lui apparaît totale et par son succès même, pleinement justifiée.

Il a déjoué l'oracle, il est plus fort que le destin.

Le Quatrième Acte porte le titre de la tragédie de Sophocle: Oedipe Roi.

Il développe d'un seul souffle l'affreuse vérité, que le poète grec nous faisait découvrir par longues et douloureuses étapes. On a l'impression qu'ici, c'est le hasard qui va tout déclencher, par l'arrivée du messager. Alors que le héros antique enquêtait ardemment pour le bien de sa cité souillée par la présence du meurtrier de Laïus et frappée par la peste, notre Oedipe moderne se trouve conduit ici au terme d'une recherche qu'il n'a pas menée et devant un problème qui le concerne personnellement, sans être lié de façon claire au sort de la cité. C'est, en tout cas, ainsi qu'il prend l'affaire.

Il défie le sort et les hommes: "j'interrogerai sans crainte, je saurai les choses", car il persiste dans la vieille conviction que son beau-frère et le devin complotent contre lui. En effet, il s'est toujours fondamentalement défié de Tirésias et de Créon, qui auraient pu l'avertir et l'aider (nous avons vu dans le troisième acte avec quelle hauteur il reçoit les avertissements angoissé du vieux prêtre...)

Ses préjugés à leur encontre viennent de ce qu'il les juge à son aune, en leur prêtant ses propres sentiments.

Possessif, il ne peut pas imaginer que le devin soit attaché à Jocaste d'une façon désintéressée, comme un grand-père aimerait une petite-fille fragile et impulsive, et qu'il ait simplement le souci de la protéger. que le devin soit attaché à Jocaste d'une façon désintéressée, comme un grand-père aimerait une petite-fille fragile et impulsive, et qu'il ait simplement le souci de la protéger. que le devin soit attaché à Jocaste d'une façon désintéressée, comme un grand-père aimerait une petite-fille fragile et impulsive, et qu'il ait simplement le souci de la protéger.

Ambitieux, il pense très naturellement que Créon, qui assurait la régence après la mort de son beau-frère Laïus, ne rêve que de reprendre le trône. Pourtant, si, effectivement, Créon agit avec autorité, c'est qu'il a l'étoffe d'un souverain, il a souci de la bonne marche de la cité, il a le sens des responsabilités, il sait ce qu'il convient de dire ou de taire. il pense très naturellement que Créon, qui assurait la régence après la mort de son beau-frère Laïus, ne rêve que de reprendre le trône. Pourtant, si, effectivement, Créon agit avec autorité, c'est qu'il a l'étoffe d'un souverain, il a souci de la bonne marche de la cité, il a le sens des responsabilités, il sait ce qu'il convient de dire ou de taire. il pense très naturellement que Créon, qui assurait la régence après la mort de son beau-frère Laïus, ne rêve que de reprendre le trône. Pourtant, si, effectivement, Créon agit avec autorité, c'est qu'il a l'étoffe d'un souverain, il a souci de la bonne marche de la cité, il a le sens des responsabilités, il sait ce qu'il convient de dire ou de taire.

S'ils l'avaient voulu, voilà longtemps que Créon et Tirésias auraient pu faire éclater la vérité, car, sans connaître l'oracle, ils avaient découvert le passé d'Oedipe. Ils se taisaient par sagesse: à quoi bon réveiller l'irrémédiable? Par égard pour Jocaste, peut-être aussi par pitié pour ce roi fourvoyé.

Sans discerner encore où les choses vont le mener, d'instinct, Oedipe se bat. Accusé de sécheresse de cœur pour son peu d'émotion à l'annonce la mort du roi de Corinthe, il se plaint avec aigreur: "en quoi suis-je scandaleux?... Tirésias me reproche... "
Il attaque: "
je déteste la comédie", "je reçois sans broncher les coups les plus rudes et chacun se ligue...", " je te sens venir, beau-frère... de coïncidence en coïncidence, ce serait du beau travail, avec l'aide des prêtres et de la police, d'arriver à embrouiller le peuple de Thèbes...", "je vous crois capable du pire, mon ami... , cette mauvaise farce... misérables!... votre complot continue..."

Il n'a même plus confiance en sa femme: "Il suffit que cette noble dame apprenne que je suis l'inconnu (qu'elle aima tout d'abord) pour me tourner le dos"... Tandis qu'il s'imagine qu'elle l'abandonne, Jocaste, sans discours, se sacrifie...

Il n'admet pas d'être vaincu.
A chaque révélation, il brave ou trouve une parade.
Apprenant que Polybe n'est pas son père, il s'écrie: "vous croyez que mon univers s'écroule... vous me connaissez mal... Peut-être suis-je heureux, moi, d'être un fils de la chance". Se rappelant la rixe mortelle avec un inconnu, il ajoute: "oui, j'ai tué, devin, mais le parricide, il faut y renoncer d'office". "Voilà de quoi fabriquer une magnifique catastrophe... Mais l'inceste sera moins commode, messieurs".

Le suicide de Jocaste ne lui ouvre pas les yeux et il accuse encore ceux qu'il croit ses ennemis:
"Vous me l'avez tuée... vous m'avez poussé à dire que j'étais un assassin... Misérables!... Mes yeux s'ouvrent!... Vous avez insinué à ma pauvre Jocaste que j'étais l'assassin de Laïus... pour devenir son époux".
Il faudra la frayeur quasi sacrée du vieux berger pour lui faire pressentir: "Je suis près d'une chose impossible à entendre".

Enfin, il comprend: "Lumière est faite". 

Pour la première fois, il voit clair. Il s'aperçoit, lui qui avait cru maîtriser les oracles et conduire sa destinée, que le sort l'a constamment joué. Sous cette lumière cruelle, tous ces dons de la Fortune dont il se glorifiait ne sont plus que leurres dérisoires envoyés par les dieux pour nourrir ses illusions.

L'aveugle qu'il a toujours été n'a plus qu'à se crever les yeux...

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