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Jean
COCTEAU
LA
MACHINE INFERNALE
Oedipe.
Rien ne
l'arrêtera dans sa course vers la réussite.
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Pour le succès de son entreprise, il va
mettre de côté sa fierté, et supplier la jeune fille de lui accorder son aide. Il n'a pas
de scrupules, il n'aura pas de remords:
"il importe que je saute les obstacles, que je porte des oeillères, que je ne
m'attendrisse pas. D'abord mon étoile."
Des dieux et de l'ordre moral, il se
soucie quand ça l'arrange. Ce que la Voix nous avait fait prendre pour un saint
respect des lois humaines et divines, n'était qu'un prétexte pour se débarrasser des
contraintes et courir l'aventure.
Il s'ennuyait, explique-t-il, auprès de
parents trop âgés. Des insultes qui mettent en doute sa naissance royale lui font
quitter le palais. Mais les oracles consultés, au lieu de le renseigner sur son origine,
lui prédisent le parricide et l'inceste!
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Ce
qui le "suffoque," c'est, plus que son caractère sacrilège, "l'absurdité
de la chose" : assassiner son pauvre vieux papa, et pour comble, épouser une
quasi grand'mère! A cette sinistre
prophétie, il trouve pour lui-même des explications rassurantes (où transparaît son
peu de considération pour les prêtres et les dieux). |
Mais il fait état de ses craintes pour
"fuir la cour et satisfaire sa
(ma) soif d'inconnu". Il ne
prend pas la peine de calculer qu'en s'éloignant de ces parents dont il n'est plus sûr
d'être l'enfant, et que leur grand âge met objectivement à l'abri de la prédiction, il
court le risque de rencontrer sans les connaître ses véritables géniteurs.
Il est si inconséquent, et si impatient
de gagner la main de la reine, qu'il n'est pas impressionné par l'objection du
Sphinx, "une femme qui
pourrait être votre mère!"
et qu'il tourne en ridicule son conseil très pertinent pour déjouer l'oracle: "épouser une femme plus jeune" que lui.
Son orgueil, lorsque, paralysé
sous l'emprise de charmes magiques, il est à la merci du monstre, s'épuise dans des
efforts de rage impuissante pour résister à qui le dompte. Mais dès qu'il sera
libéré, puis vainqueur, il oubliera d'un coup l'humiliation de sa défaite et de son
moment de faiblesse, il oubliera aussi l'aide inespérée du Sphinx, pour "proclamer sa victoire".
Revenu sur ses pas, pour récupérer la
dépouille de sa victime qui prouvera sa réussite, il réclame froidement son "dû",
sans adieu ni remerciement. Il s'impatiente des lenteurs du Sphinx,
mais il prend ensuite son temps pour se camper et chercher la façon la plus flatteuse de
porter le cadavre: "... Hercule!...Oui, sur
mon épaule... comme un demi-dieu!"
Et il conclut: "Je serai
roi!"
Soif de fortune et de
gloire, concentration des forces vers un seul but, foi dans son étoile, absence d'états
d'âme, folle audace réussissent au gagneur quand la chance est favorable. Oedipe en est-il pour autant un
héros? Pour Jocaste et pour le peuple de Thèbes,
c'est évident.
Sa prestance fait dire à Anubis qu' "il ressemble fort à un jeune dieu". Il a tué un monstre terrifiant. Il a sauvé
la cité. Il a, comme il se doit, reçu en récompense la main de la princesse, ici, une
reine. Il devient roi de la ville dont il est le bienfaiteur. (Il est probable que la
popularité dont parle la voix tient à ces circonstances, et rien ne nous permet de
savoir s'il s'est montré un bon souverain)
Dans le sens plus noble du courage
et de la générosité, Oedipe est-il un héros?
Courageux?
Certes, il se lance à
corps perdu dans la recherche du Sphinx, "depuis un mois, je marche sans fatigue", mais plutôt à l'étourdie et sans préparation
sérieuse, "pour un homme qui
souhaite se mesurer avec l'ennemi".
En réalité, il n'aura même pas à se battre.
Quand vient la grande épreuve et qu'il se
croit perdu, il pleure comme l'enfant qu'il est encore: "Mérope!... maman!", et il supplie: "Oh! Madame... oh! Madame! oh! non! non! non! non! Madame!"
Sa victoire est une grâce
accordée
par le Sphinx, dont il sait bien qu'il ne peut pas s'attribuer le mérite et dont il aura
honte de parler, même à sa femme.
accordée
par le Sphinx, dont il sait bien qu'il ne peut pas s'attribuer le mérite et dont il aura
honte de parler, même à sa femme.
Non! Tout simplement, l'envie de
conquérir un trône. Poussé par le Sphinx dans ses retranchements, il affirme, c'est
vrai, "J'aimerai mon peuple,
il m'aimera", mais il ne
convainc pas. Il semble bien qu'Oedipe <roule> pour lui seul.
Le Sphinx , jeune fille amoureuse, met en
évidence la carence affective du garçon lorsqu'il (elle) oppose l'idéal de celui
pour qui "vivre" c'est être riche, puissant, adulé par la
foule, à sa propre conception: "aimer.
Être aimé de qui on aime", préférer à "la place publique",
"un foyer". ".
".
".
".
".
Nous avons pu observer en effet avec
quelle indifférence Oedipe quitte les parents qui l'ont élevé avec tant de "caresses et de confort".
Il montre la même ingratitude à l'égard de celle qui le sauve en le faisant
triompher dans l'épreuve de l'énigme, parce qu' il n'est capable de saisir ni son
amour, ni son sacrifice.
L'image qu'il se fait d'une épouse "qui deviendra vite un Sphinx pire que le Sphinx,
un Sphinx à mamelles et à griffes",
trahit si peu d'attrait pour le mariage que seuls des intérêts ou des raisons
politiques pourront l'amener à cet engagement. On comprend qu'il n'ait pas à la voir au
préalable, ni à interroger ses sentiments pour affirmer "j'épouserai la reine Jocaste".
Qu'en sera-t-il
quand il connaîtra celle dont il tient à gagner la couronne?
Page suivante: la Nuit de
Noces, le montre seul avec Jocaste.
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