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Jean
COCTEAU
LA
MACHINE INFERNALE
Les
personnages
-
Jocaste a-t-elle des excuses?
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Objectivement, il y a la jeunesse,
dix huit ans, et la crainte de l'oracle, "une femme se trouve si stupide, si
faible en face d'eux".
Jocaste, pour défendre "sa sur
de lait", présente les circonstances de façon aussi pitoyables qu'elle le
peut: "tâche de te mettre à la place d'une gamine, crédule aux présages et qui
plus est, grosse, éreintée, écurée, chambrée, épouvantée par les
prêtres..."
Pour des raisons différentes, elle ne
convainc personne, ni Oedipe qui n'a pas peur des oracles et ne connaît rien aux
femmes, ni nous, parce que, nous venons de l'observer, commettre toute seule ce crime
presque parfait montre une personne qui savait s'organiser et parce que nous pensons
qu'elle invente la prétendue pression exercée par les prêtres sur la jeune
mère. En effet, le seul qui aurait pu connaître l'oracle, à cause de son intimité avec
le couple, c'est Tirésias, et il vient de dire lui-même à Oedipe qu'il ignore ce
qui va exactement se passer, il n'avait donc pas été mis au courant autrefois.
A-t-elle des
remords?
-
Devant la réprobation de son nouvel époux,
elle affiche la plus grande horreur pour cet acte: "supprimer la vie de
sa vie, le fils de son ventre, son idéal sur terre, l'amour de ses amours". Elle en
rajoute peut-être un peu, mais il est sûr que ce souvenir la poursuit, c'est
"quelque chose que j'essaie toujours d'oublier".
- Elle garde auprès d'elle le berceau de
l'enfant, elle s'attendrit devant un contemporain de ce fils, dont elle rêve: "si
j'avais un fils, il serait beau, il serait brave... il reviendrait vainqueur".
"Il aurait dix neuf ans, Tirésias, dix neuf ans!" Elle conserve comme une blessure
au fond de son cur la place laissée vide et, instinctivement, elle retrouvera
les gestes maternels qu'elle n'a pas pu prodiguer à son bébé. .
- Elle a des regrets, oui, sans
peut-être avoir de remords.
Mais face à Oedipe dont elle tient à conserver l'amour à tout prix, elle éprouve une honte
qui l'empêche d'assumer sa responsabilité, l'oblige à un demi silence et lui fait
taire une révélation capitale: le contenu de l'oracle.
Ces silences de Jocaste,
dont nous avons déjà parlé, à propos du dernier acte, pèseront lourd dans la
destinée du couple.
-Dans l'affaire de l'inceste,
Jocaste est-elle coupable, consciemment coupable?
-Son caractère la prédisposait-il à cela ?
Observons-la.
Avant la venue d'Oedipe.
Nous voyons une femme qui parle à tort et à
travers, s'impatiente de tout, énonce des ordres impossibles. Elle ne dort pas , ou
plutôt, elle craint le sommeil, qui lui apporte d'horribles cauchemars, "le Sphinx,
le meurtre de Laïus m'ont mis les nerfs à bout", dit-elle. Elle vit, en effet, avec
l'assassinat de son mari et l'apparition d'un monstre dévastateur à l'entrée de sa
cité, des moments terriblement éprouvants. Sa fébrilité se justifierait parfaitement.
Regardons-y de plus près.
Du Sphinx, elle ne parle que dans le
passage cité à l'instant, et pour se faire plaindre, sans paraître soucieuse à aucun
moment du malheur de ses sujets, ce n'est donc pas ce problème qui l'empêche de dormir.
Quant à son récent veuvage, elle
le ressent surtout comme une contrainte. Au rappel de Tirésias: "Vous portez
le deuil de Laïus", elle réplique vivement: "tous sont en
deuil... et ils
dansent, et je ne danse pas. C'est trop injuste..."
Il est vrai qu'elle tient beaucoup à
rencontrer ce qu'on dit être le fantôme de son époux, mais Tirésias qui la connaît
bien n'a pas tout à fait tort d'appeler sa démarche une "escapade", ce bon
prétexte lui permet de sortir, et comme nul revenant ne se montre, elle concentre son
intérêt sur le joli soldat. Elle imagine ensuite de "revenir par la ville haute,
par les petites rues, et nous visiterons les boîtes".
Nous n'avons pas devant nous une veuve
accablée de sa perte, mais une femme
curieuse, fantasque, capricieuse, qui veut
vivre, refuse les obligations de son titre de reine et n'en accepte que les
prérogatives.
Encore que, là-dessus, les avis soient
partagés: "La reine Jocaste est encore jeune, de loin, on lui donnerait vingt-neuf,
trente ans", évalue la thébaine, "cette matrone", s'étonne le petit
soldat sans l'avoir reconnue, elle se sent jeune (la présence d'un vieillard à
ses côtés le lui avait sans doute interdit jusqu'alors).
Avec plus d'aplomb qu'une gamine délurée,
elle ne cache pas combien le garde lui plaît. Non contente de le manger des yeux et de
s'exclamer tout haut, "il est beau!...il est beau!..." elle le tâte et le fait
tâter sans retenue, se moquant de sa gêne, "n'aie pas peur...le papa est aveugle.
Dieu sait ce qu'il imagine, le pauvre, il est tout rouge!"
Ce petit jeune homme la
trouble profondément: "lorsque j'ai touché le corps de ce garde...
j'ai failli
m'évanouir. Il aurait dix neuf ans..." ("il ", c'est son fils). Pulsion
érotique et tendresse maternelle se confondent dans son émotion. Spontanément, comme si la parole de l'oracle avait
lentement germé en elle, Jocaste lance l'idée de l'inceste: "Est-il plus doux
ménage, ménage plus doux et plus cruel, ménage plus fier de soi que ce couple d'un fils
et d'une mère jeune?"
Nous avons donc une femme ardente que n'embarrassent pas les préjugés, une femme en
attente qui ne laissera pas passer ses chances de bonheur. Tirésias, qui a pour sa
"colombe" une tendresse de grand-père, la voit, lui, "faible, crédule,
romanesque"...
Quoi qu'il en soit, il y a dans la vie de
Jocaste comme dans sa cité, une place à prendre.
Quand arrive Oedipe,
auréolé de son double titre de vainqueur et de sauveur, Elle l'accepte sans réserve,
heureuse, certainement, de donner sa personne en récompense à un jeune et beau garçon.
Il faut cependant reconnaître que cette reine prend des risques extraordinaires en
épousant un inconnu, un "aventurier", disent certains, et qui plus est, un
garçon qui a la moitié de son âge. Si le peuple de Thèbes accepte avec
enthousiasme son libérateur, ce mariage la disqualifie dans bien des esprits,
"noces extravagantes", dira Tirésias, tandis que le pochard se dit: "et
pourquoi pas moi!". Mais elle est au-dessus du qu'en dira-t-on.,
auréolé de son double titre de vainqueur et de sauveur, Elle l'accepte sans réserve,
heureuse, certainement, de donner sa personne en récompense à un jeune et beau garçon.
Il faut cependant reconnaître que cette reine prend des risques extraordinaires en
épousant un inconnu, un "aventurier", disent certains, et qui plus est, un
garçon qui a la moitié de son âge. Si le peuple de Thèbes accepte avec
enthousiasme son libérateur, ce mariage la disqualifie dans bien des esprits,
"noces extravagantes", dira Tirésias, tandis que le pochard se dit: "et
pourquoi pas moi!". Mais elle est au-dessus du qu'en dira-t-on.
Observons-la au
troisième acte, à la nuit de noces.
Jocaste admire Oedipe, c'est son
héros, celui qui en délivrant sa ville, la libère: "Il était temps que tu
viennes, je n'en peux plus". Il lui apporte la promesse d'un bonheur juvénile
qu'elle n'a pas connu avec Laïus. Tout de suite, elle est amoureuse: "mon
roi, mon amour".
Extasiée, soumise,
elle craint par
dessus tout de le voir contrarié, "j'ai peur que cette chambre te devienne une
prison", "veux-tu que j'ôte le berceau,", "écoute, mon garçon
chéri, tu vas te fâcher..." , "ne me gronde pas"..."mon chéri, ne
te vexe pas. Tu m'en veux?" Nous sommes loin de la princesse qui tyrannisait tout le
monde au premier acte, l'amour l'a transformée.
Son obsession, c'est sa
différence d'âge avec son mari, et le vieillissement qui la guette. Le plus habile
serait de n'en rien dire, mais la malheureuse y revient sans cesse: "Il a dû te
démontrer que tu étais trop jeune pour moi... Que j'étais vieille"..."Suis-je
donc si vieille... si vieille?" (elle pleure)..."Voilà l'âge et ses
tours!"... "Jeune! Oedipe... il ne faut pas de mensonges"..."Je
somnole comme une grand'mère au coin du feu"......"Je suis trop vieille.
Tirésias avait raison"... "J'irai aussi jeter un coup d'oeil au miroir.
Voulez-vous embrasser une mégère?"
Apercevant le soldat rencontré sur les
remparts, elle a un charmant mouvement de coquetterie: "J'aimerais te rendre
jaloux", mais son tourment la reprend aussitôt et elle ne peut s'empêcher de dire
bien maladroitement à Oedipe que ce garde l'a émue parce qu'il lui ressemblait, ou
plutôt, corrige-t-elle, parce que son "fils aurait presque son âge".
Lorsqu'elle entend l'ivrogne chansonner,
elle prend soin qu'Oedipe ne l'entende pas et le visage contre le miroir vide, se
remonte les joues à pleines mains. Quel pathétique dans ce moment où elle découvre
la distance périlleuse qui sépare ses rêves de la réalité!
- Sans l'avouer, elle sait
bien qu'elle pourrait être la mère d'Oedipe. Et, nous l'annoncions, elle retrouve
pour lui des gestes et un langage maternels: "mon petit fou"..."mon
garçon chéri"..."c'est le marchand de sable,comme disent les
petits"..."mon petit, c'est moi"..."là, là, c'est fini!"...
"quelle était cette méchante dame?"..."Je t'ai laissé t'endormir avec
ces étoffes lourdes, ces colliers d'or"..."Allons! quel gros bébé!" (Elle
le soulève, lui ôte sa tunique et le frotte... Elle le déchausse)... "ta petite
figure furieuse"..."Tu es un enfant"..."Là, là, sois sage..."
- Comprend-elle qu'elle est la mère d'Oedipe? Les affreuses cicatrices qui la bouleversent
et la similitude d'âge sont des coïncidences qui devraient l'éclairer, mais elle
ne veut pas être éclairée. Elle va donc éviter les sujets délicats, monter la
garde contre ses rêves dont elle craint les révélations et mener le jeu ambigu de la
mère-amante. . Et, nous l'annoncions, elle retrouve
pour lui des gestes et un langage maternels: "mon petit fou"..."mon
garçon chéri"..."c'est le marchand de sable,comme disent les
petits"..."mon petit, c'est moi"..."là, là, c'est fini!"...
"quelle était cette méchante dame?"..."Je t'ai laissé t'endormir avec
ces étoffes lourdes, ces colliers d'or"..."Allons! quel gros bébé!" (Elle
le soulève, lui ôte sa tunique et le frotte... Elle le déchausse)... "ta petite
figure furieuse"..."Tu es un enfant"..."Là, là, sois sage..."
- Comprend-elle qu'elle est la mère d'Oedipe? Les affreuses cicatrices qui la bouleversent
et la similitude d'âge sont des coïncidences qui devraient l'éclairer, mais elle
ne veut pas être éclairée. Elle va donc éviter les sujets délicats, monter la
garde contre ses rêves dont elle craint les révélations et mener le jeu ambigu de la
mère-amante.
Délicieusement
ambigu? Je l'avais écrit tout d'abord, mais je l'efface: le silence de Jocaste
au soir de ses noces sera trop chèrement payé. Combien de fois, au cours de ces dix sept
années de vie conjugale aura-t-elle à serrer les dents pour garder la ligne de conduite
où elle est engagée? Combien de fois tremblera-t-elle, avant le coup final, d'entendre
ce qu'elle ne veut pas envisager lucidement?
Elle a caché sa responsabilité dans
l'infanticide par honte devant Oedipe, pour éviter des questions qui la mettaient mal à
l'aise et peut-être des recoupements dangereux. Elle s'est tue spontanément, pour
protéger son bonheur et celui de son bien-aimé, assumant seule un secret très lourd.
Comprenait-elle la gravité du risque? je ne sais pas, mais nous voici à l'heure de
vérité: au Quatrième Acte.
Comment réagit
Jocaste?
L'annonce de la mort de Polybe, père de
son mari, lui permet d'entendre sans s'émouvoir outre mesure la prédiction
symétrique de la sienne faite à Oedipe, "je serais son assassin et l'époux de ma mère", puisque, de toute évidence, il n'a pas tué
son père et, corollairement, n'a pas épousé sa mère, qui est la reine Mérope.
Mais si ensuite, la découverte de
l'adoption d'Oedipe par ce couple remet seulement en cause pour les autres le
problème de son origine, en revanche, elle réveille chez Jocaste un terrible doute.
Pourtant, elle espère encore, et elle essaie de couper court à de nouvelles
révélations en mettant son mari en garde: "tu t'exaltes... tu t'exaltes... tu crois tout ce qu'on te raconte
et après..."
L'explication des cicatrices, elle la
pressentait depuis le premier soir, la voici maintenant, elle lui fait mal, mais elle fera
plus de mal encore à celui qu'elle aime et qu'elle veut protéger: "Oedipe, Oedipe... remonte (= dans le temps) ... on croirait que tu aimes fouiller tes plaies avec un
couteau".
Tout s'effondre lorsqu'elle apprend que
le vieux roi Laïus a été tué par Oedipe: "Au carrefour de Daulie et de Delphes!... (elle disparaît comme on se noie).
Laissant encore à Oedipe un sursis
d'illusion, elle va se pendre dans le silence de sa chambre, cette chambre
"rouge comme une petite boucherie", qui bientôt sera de la couleur du
sang de son mari. Silence du chagrin, silence de la honte, silence du désespoir
d'avoir perdu son fils, son époux, Oedipe, son unique bien-aimé.
En
mourant, elle fait disparaître la cause de la faute.
Pense-t-elle ainsi le sauver? |
Aller à
Oedipe: mais, qui est-il?
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