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Jean COCTEAU

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LA MACHINE INFERNALE - L
es personnages 

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Qui voyons-nous sur scène? 

Le second degré est, disions-nous, celui des personnages. Les plus simples assurent l'actualisation, ils donnent à la pièce un côté familier, ce sont les soldats, la mère et son enfant, l'ivrogne. Nous observerons aussi, dans ce registre, certaines attitudes de Jocaste et d'Oedipe.
Viennent ensuite les protagonistes, ceux entre qui se joue l'action, Oedipe, Jocaste et, plus accessoirement, Tirésias.
Ceux qui suggèrent un ailleurs, Laïus et le Sphinx avec, comme repoussoir parce qu'il est imperméable à ce monde insaisissable, Créon, auront leur place au troisième degré.

DES GENS DE TOUS LES JOURS.

L'actualisation doit donner l'impression du vrai, elle nous permet de garder les pieds sur terre dans une histoire surréaliste, surtout pour ses deux premiers épisodes, et c'est effectivement dans l'acte du fantôme et dans celui du sphinx qu'apparaissent nos braves gens (sauf l'ivrogne). La nuit de noces et le dénouement de l'énigme policière, qui constituent la suite de la pièce, ont en eux-mêmes assez de réalité pour s'imposer à nous.

Les deux soldats ont les points de vue de leur âge et de leur condition.

Le plus jeune ne supporte pas son inaction, il brûle de faire quelque chose et c'est lui qui décide de divulguer les visites du fantôme, il est naïf et rêveur, dans son esprit, la reine est une jeune femme, le Sphinx doit être accueillant aux jeunes hommes.

Son camarade a perdu cette fougue, il mesure les risques d'une entreprise et se moque de la témérité de son collègue qui veut affronter le monstre, il le dissuade de transmettre à la reine le message de son mari, il prend garde à ses paroles en s'adressant à son chef.

Il a ses idées sur les Grands et sait que leur caprice peut changer une destinée, positivement ou négativement.

Il donne les opinions de l'homme de la rue sur la reine: une étrangère un peu folle qu'on n'aime pas vraiment, et sur les personnages en place, le prêtre Tirésias, le prince Créon: des malins qui s'arrangent entre eux pour gruger le pauvre monde.

(Notons, nous y reviendrons peut-être, que ce sont eux, de simples soldats, qui voient et entendent le fantôme, alors qu'aucun des gens de pouvoir n'y parvient).

La matrone, qui s'est attardée avec son enfant à une fête campagnarde et se hâte maintenant de regagner la ville, outre qu'elle rend présente l'angoisse inspirée par le Sphinx, engage un dialogue très simple avec le monstre, dont nous découvrons ainsi la sensibilité.
Après avoir donné des avertissements maternels à celle qu'elle prend pour une jeune fille, elle lui dit ses préoccupations, ses chagrins, les discussions acharnées de ses grands fils sur la conduite à tenir face au fléau, elle se remémore avec une précision poignante le sort tragique de son aîné, "mort au Sphinx", elle raconte ses histoires de bonne femme et ses croyances naïves. 

  • Par elle, nous connaissons l'insatisfaction générale des thébains , sur la vie chère, les violences, les désordres, les intrigues de la police, des prêtres, du prince. "Il nous faudrait un chef qui tombe du ciel, qui l'épouse (la reine), qui tue la bête, qui punisse les trafics, qui boucle Créon et Tirésias, qui remonte le moral du peuple, qui l'aime, qui nous sauve, quoi! qui nous sauve!" Il y a vraiment une place à prendre!

  • Pas un instant, cette bavarde n'imagine qu'elle a devant elle la cause de ses maux. C'est le petit garçon qui, tout ingénument, pose la question: "Maman, dis, c'est cette dame, le Sphinx?" ...et il se fait rabrouer par sa grande personne de mère!

Nous avons déjà dit un mot de l'ivrogne, dont la chanson termine la scène des noces. Comme les soldats, comme l'enfant, il voit les choses de façon simple et directe. Il a, de plus, cette curieuse dignité de celui qui est au-dessus des contingences et qui se sent de plain-pied avec tout le monde (vous rappelez-vous le Mendiant, dans Electre?).
Sa courte intervention a une saveur incroyable: "Ho! tiens un mort!...Pardon excuse: c'est un soldat endormi... salut, militaire, salut à l'armée endormie... La politique... c'est une honte... Je dirais à la reine: "madame, un junior ne vous convient pas... prenez un mari sérieux, sobre, solide... un mari comme moi"...Salut à l'armée réveillée.." Cocteau, dont je plaisantais les efforts pour faire populaire, a réussi là un joli petit morceau. 

En somme, ces gens du peuple, pourvus d'un bon sens élémentaire et en même temps nourris de vieilles croyances qui les gardent accessibles au surnaturel, sont encore les héritiers, sur un mode simplifié, des grands chœurs de la tragédie antique.

Pourquoi, direz-vous peut-être, ne pas nous parler aussi du messager et du vieux berger qui amènent le dénouement: des gens de la campagne, voilà qui complèterait parfaitement notre collection!
Si vous voulez!
Sautons jusqu'au quatrième acte, écoutons-les parler:..."si j'osais... votre indifférence n'est pas de l'indifférence. Je peux vous éclairer sur elle"..."Princes, que ne suis-je mort afin de ne pas vivre cette minute!...hélas!..."
Sentez-vous le soin qu'ils prennent en s'exprimant, à ménager à la fois l'importance de leurs interlocuteurs et celle des choses qu'ils ont à révéler? Ils ont le ton noble et émouvant qui convient à la tragédie. Ici, et ce n'est pas une critique, au contraire, nous renouons avec la grande tradition classique, celle qui en effet convient à l'exceptionnelle gravité de la situation. Cocteau ne s'y est pas trompé, en renonçant ici au pittoresque facile du quotidien pour laisser toute la place à l'horreur sacrée.

Oedipe, en revanche, se maintiendra dans le registre de la comédie de boulevards, tant qu'il n'aura pas senti, ou voulu sentir l'étendue de son malheur. 

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