Jean COCTEAU
LA MACHINE INFERNALE p.1 Site Philagora, tous droits réservés © __________________ L'affaire d'Oedipe,
on en parle encore. La trouvaille commune aux dramaturges d'aujourd'hui est une réactualisation qui, enlevant aux protagonistes les ornements de leur antique dignité, les présente comme de simples gens tels que nous en rencontrons tous les jours, et nous permet d'accéder directement à leurs soucis. Mais il en faut davantage pour soutenir l'intérêt d'une aventure connue de tous. Ainsi, nous avons vu Jean Giraudoux poser durement dans Electre les conséquence d'une exigeance absolue de vérité, et chez Jean Anouilh, la grande Antigone sophocléenne s'humaniser en une pauvre enfant agressive et mal dans sa peau. Ici, que va tirer Jean Cocteau du drame d'Oedipe, ce cheval de bataille de la psychanalyse? D'abord, un titre, et qui n'est pas si mal! LA MACHINE INFERNALE ... Nous y sentons à la fois la férocité inconsciente d'un objet, qu'on ne peut ni convaincre ni arrêter, et une menace d'autant plus effrayante qu'elle émane d'une force invisible née des ténèbres et de la malfaisance. Comme nous l'annonce l'auteur: "une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel". Est-il nécessaire de rappeler que les Dieux Infernaux
sont, dans la mythologie gréco-latine, les dieux du monde souterrain où descendent tous
les morts (les bons comme les méchants)? Ils n'étaient pas particulièrement mauvais, et
s'ils faisaient peur, ce n'était pas comme le Diable, tortionnaire des damnés dans
l'Enfer chrétien, mais comme les maîtres d'un au-delà triste et désincarné, sans
vraie lumière, ni vie réelle. Sans s'embarrasser de trop de précision mythologique,
Cocteau réunit ici les connotations les plus angoissantes du mot. Comment se présente cette Machine Infernale? Elle comporte un court prologue suivi de quatre actes. Les trois premiers sont de longueur sensiblement égale, tandis que le dernier n'est que la moitié des précédents. Comment fonctionne cette Machine Infernale? Au Prologue, , La Voix, qui fut celle de Cocteau lui-même lors de la création, en avril 1934, nous révèle ce que nous pouvons ici nous permettre d'appeler tous les rouages (le poète, nous le savons, est par vocation un prophète, celui qui ouvre les yeux des hommes et leur enseigne des choses cachées). Il y a d'abord, l'oracle d'Apollon, annoncé
Ensuite, les parades croisées des parents et de leur fils, qui ramèneront celui qu'on avait éloigné vers les victimes qu'il fuit. Puis le hasard et l'ignorance, qui entretiendront les illusions.
Mais aussi des preuves et d'éventuels témoins qui pourront un jour ou l'autre éclairer la mère et le fils:
Dans ce court prologue, nous voyons en accéléré, par une suite de courtes phrases au présent, se dérouler tout le destin d'Oedipe, c'est à dire d'un mortel dont se jouent les dieux (car il faut, nous dit-on, "que les dieux s'amusent beaucoup"). Sans cesse présents, ils agissent de façon à mener leurs proies où ils veulent. En effet, ce sont les dieux:
Grâce aux preuves et aux témoignages, "Lumière est faite. Avec son écharpe rouge, Jocaste se pend. Avec la broche d'or de sa femme pendue, Oedipe se crève les yeux." Puisque vous êtes dans le secret des dieux, vous avez sans doute remarqué ces quelques mots-clés, ne les oubliez pas, vous les retrouverez souvent au cours de la représentation: "Lumière est faite. Avec son écharpe rouge, Jocaste se pend. Avec la broche d'or de sa femme pendue, Oedipe se crève les yeux". Précisons aussi que le mot sphinx appartient à une racine grecque qui signifie étrangler. Dans ce Prologue, la Voix nous a tout dit! Nous connaissons la programmation complète, à quoi bon, nous attarder à la représentation? Et si, justement, maintenant que nous savons tout, il s'agissait de voir comment Cocteau réussit à "faire passer" cette histoire énorme?
Il va, évidemment, exploiter les immenses
possibilités psychologiques, ou psychanalytiques du thème, mais ce n'est pas
l'essentiel de son propos. A présent, voyons ce qui se passe dans la suite de nos quatre
actes. -Au quatrième degré... QUE VA-T-ON REPRÉSENTER SUR LA SCÈNE? Alors que Sophocle prend son récit au moment où la chance tourne et va s'acharner sur Oedipe, roi respecté et aimé de son peuple, époux heureux, père comblé par quatre beaux enfants, Cocteau part de plus loin, il montre le héros avant sa réussite et se risque dans les épisodes les plus délicats de sa légende:
La démarche différente de Cocteau nous permettra peut-être, lorsqu'au dernier acte arriveront la révélation et la punition, d'y être mieux préparés que chez Sophocle, où le châtiment, s'abattant sur un prince vertueux, semble plus injuste et révoltant. Comme souvent sur le théâtre contemporain, nous y perdrons probablement en grandeur ce que nous gagnerons en simple humanité.. |