L'intérêt
de ces jugements portés sur Thomas par son entourage, c'est
qu'ils sont en réalité autant de manière dont Claudel accède
à cette promesse d'avenir qu'il porte en lui, avec ce bâtisseur
qu'est animus (pour la distinction animus/anima dont
l'origine est Jung, suivre ce lien: animus
- anima lien
ouverture nouvelle fenêtre)
Dans
la vraie vie, on ne compose pas, on ne cherche plus à paraître:
sous le regard de l'âme, chaque personnage accède donc à
autrui dans une subjectivité partagée, parce que les masques
tombent. La vraie vie est dans la vérité d'une subjectivité
transparente et sans obstacle, ce qui ne vas pas sans conflits
et sans crise: bien au contraire, cela les exaspère puisque
l'hypocrisie a disparu. De part en part, la vraie vie est
authentique.
1-
Lechy - C'est ainsi que Léchy allie dans ses
propos l'objectivité du jugement et la lucidité de la donnée
immédiate: Thomas a le regard fixe comme un boxeur qui rit,
toujours prêt à concourir, à échanger mais aussi toujours prêt
au don, à la générosité, parce que l'échange n'est pas pour
lui une passion mais un jeu, un divertissement dont il peut à
tout moment se déprendre en donnant ce qu'il a gagné. Car
comment pourrait-il donner sans retour s'il ne commençait pas
par posséder en toute justice? Il a donc bien "le
regard fixe comme un boxeur qui rit" (page 35), c'est
un "ours blanc'" qui combat comme on joue
dans une royale liberté, au cœur de l'échange, la fin de la
pièce en témoignera. Il est prêt à tout abandonner pour peu
qu'il trouve cette perle exigeante, ce bleu regard du devoir,
qui n'a pas de prix: Marthe: "Vous serez heureuse avec
Thomas" (page 94) prophétise avec une lucidité supérieure
Léchy. C'est dire que Thomas ne déçoit pas: il va jusqu'au
bout de son engagement et pas plus loin. C'est le juste prix:
"tant par mois" (page 91), se plaint Léchy
qui préfère les surprises. Léchy ne peut prévoir le
bouleversement que Thomas commence à vivre: il comprendra
que dans l'amour celui qui semble perdre tout, gagne tout.
Pourtant, elle le pressent ce détachement: "C'est
pourquoi il a fait sa fortune car il faut bien faire quelque
chose." (page 56).
2-
Louis - Il ne voit d'abord que la richesse et
la puissance de Thomas: "Il est riche comme un roi!"
(page 65) mais il reconnaît vite une qualité extraordinaire:
"si riche et si simple" (page 65), parce que
détaché, lucide. "Il prend d'une main et il donne de
l'autre." Autant dire que Thomas reste libre dans tout
ce qu'il fait, libre de retrouver quand il veut la pauvreté.
Pour Thomas, c'est l'existence qui compte et qui prime sur
l'avoir, la royale liberté des enfants de Dieu.
3-
Marthe - Parce qu'elle écoute et qu'elle voit,
c'est Marthe qui reconnaît le mieux et le plus profondément
Thomas:
= Charitable : "Vous avez bien voulu nous prendre chez
vous." Notez l'ambiguïté qu'introduit le verbe prendre.
= Par ses questions, elle l'amène à se remettre en question,
à découvrir ce qu'il sait déjà, non plus sous la lumière de
l'esprit mais dans la certitude de l'âme: la vanité de l'avoir
qui circule dans l'échange:
"N'êtes-vous pas le maître ici?" (page 108)
"Homme grand et riche"
"Pourquoi êtes-vous venu le (= Louis) tenter?"
(page 112)
=
Thomas est un pêcheur qui vient de rapporter dans ses filets
plus qu'il ne pense: ni plus ni moins que l'amour de Marthe.
-
Ce que j'aime en vous: "Il y a plusieurs choses que
j'aime en vous ..." (page 116)
Texte
capital dans lequel se révèle la capacité d'intuition de l'âme
et les qualités propres d'animus: tout d'abord
la foi quand il agit; puis la
connaissance de la valeur des choses car il les réfère
à elles-mêmes, à leur valeur d'usage et non à des illusions.
De plus, il est en contact avec les réalités:
il ne vent pas du vent. Grâce à lui ce qui est bon est utilisé.
Cela permet de satisfaire les besoins.
= Thomas est à la fois équilibré, hardi, actif, patient, rusé,
opportun; il sait s'appuyer sur les autres qu'il respecte. Il
fait donc tout ce qu'il peut même s'il ne dispose pas du hasard
des circonstances ...
Enfin, qualité suprême d'un homme aux yeux de Marthe, il sait
soumettre son désir à la raison, ce qui témoigne d'une liberté
parfaite.
= Ce que le plus profond de Claudel, cette nappe phréatique
touchée par Dieu, aime dans animus c'est cette parfaite maîtrise
de soi: être raisonnable sans jamais perdre la raison, sans
pour cela prendre la raison au sérieux et se noyer dans le
rationnel ! C'est le triomphe de la sagesse humaine, sur
laquelle Marthe aimera bien s'appuyer ,la pauvreté en
esprit.. Mais tout cela n'est rien par rapport à l'absolu, ce
qui a sa raison d'être en soi: "Je suis pauvre !"
s'exclame Thomas. Alors, quelqu'un qui a toutes ce qualités et
qui les vit dan la pauvreté, n'est-ce pas quelqu'un qui va
prendre au sérieux la vie sans pour cela se prendre au sérieux,
le partenaire que cherche Marthe pour son oeuvre de création.
Voilà
pourquoi Thomas accepte si facilement que sa "dame"
lui fasse la leçon et l'invite à apprendre (il en aura besoin
!): "Apprenez" (page 127), quatre fois adressés,
comme une injonction à s'ouvrir au prochain, sans le juger,
pour apprendre: apprendre du prodigue, de l'avare,
de l'homme ivre, du jeune homme enchaîné par
le désir, des femmes.
Elle lui tend la main qu'il serre en silence (didascalie* de la
page 126): échange et don, sagesse humaine et sagesse divine,
union des contraires. |