La
distance entre ce que Marthe dit d'elle et ce qu'on dit d'elle
marque la part d'inconscience qui l'habite, révèle en positif
ce qui lui semble encore négatif parce qu'elle n'est pas encore
devenue pleinement consciente de ce qu'elle est appelée à
devenir et que, d'une certaine manière, elle est déjà. Ce
qu'on dit de Marthe c'est aussi qu'elle a un avenir qui passe
par Thomas.
Marthe
ne peut se suffire à elle même: c'est un boulet:
"Toujours cette question que font les femmes ..."
page 12.
C'est
une femme parmi les femmes, un individu qui relève d'une espèce
dont la caractéristique serait de poser toujours la même
question: est-ce que je suis unique pour toi? Est-ce que tu veux
le bien que par le mariage tu t'es engagée à vouloir? Es-tu
fidèle à ce que tu m'as dit? Laine dit à Marthe qu'il doit la
traîner:
"C'est ainsi que je te trouve souvent à me regarder"
(page 21).
L'âme,
la conscience, le devoir qui exige de sauver l'avenir, c'est
pourtant Marthe .Et c'est pour cela qu'il la traîne comme sa
conscience:
"Que fais-u de mon âme l'ayant prise" (page
6), la femme prend l'âme de l'homme et avec elle sa liberté.
"O
la poule ..." (page 19), celle dont la protection étouffe
à force de protéger.
...
La femme qui ne peut se suffire à elle même (page 30) non
seulement sur le plan affectif mais sur le plan matériel. C'est
pour elle que l'homme doit travailler et c'est elle qui pousse
l'homme au parjure, à force de le questionner.
Marthe
est la perle, la profondeur qui mérite tous les sacrifices.
Elle est avec un bon à rien, un vaurien (page 39) avec lequel
il n'y a rien à faire. C'est pourtant une lady ... Thomas
pressent que Marthe a une oeuvre à accomplir, un devoir
d'avenir. A partir de là elle est libre, puisque pour lui le
mariage n'est qu'un contrat: le divorce n'est que la rupture
d'un contrat, rupture d'autant plus facile que l'un des
contractants ne donne pas ce qu'il s'est engagé à donner.
Marthe
est une femme de valeur: la politesse devient un hommage: "Est-ce
que vous me permettez ..." (page 108). Il la reconnaît
comme unique; auprès d'elle même sa richesse perd toute
valeur, la maison peut bien brûler... il n'est plus le maître,
mais celui qui présente des excuses (page 109); c'est le
chevalier servant de l'amour courtois qui demeure auprès de sa
belle.
- "Qu'allez-vous faire maintenant ...?".
C'est
proposer la part que Marthe attendait de son mari: faire un
enfant, une maison pour l'enfant, un bonheur pour l'enfant,
selon une répartition des tâches. Le fruit de l'union des
contraires, animus et anima, ces archétypes divins, ces
dynamismes.
- Il lui dit qu'elle possède un charisme, un charme qui délivre
l'homme de sa manière de faire le coq, du paraître. C'est une
nappe phréatique qui invite au silence, au retour su soi, sur
le passé qui nous a fait ce que nous sommes. Par son charme
silencieux, elle appelle à la sincérité d'une confession libératrice
de ce poids de passé que chacun traîne comme un boulet: la
culpabilité. C'est pourquoi il s'attache à elle."Car
je sais que vous êtes là et je n'ai plus la force de vous
quitter" (page 115).
-
C'est la fée du logis qui fait bien les besognes journalières:
laver le parquet, soigner le jardin, laver le linge: c'est la
meilleure des servantes.
- C'est une femme étrange, qui n'est pas laide, mais qui ignore
qu'elle ne peut rien avoir à elle durablement (page 72).
"La femme est jalouse et profonde" (page
122), ce qui renvoie Marthe à une autre appréciation d'elle même.
Sa jalousie ne prend peut-être tout son sens que de la
profondeur du don de soi.
Résumons:
Marthe est éclairée sur ses qualités par les paroles
qui lui sont adressées. Elle est douce-amère: douce comme
l'amour et amère comme la vérité. C 'est Marthe qui s'active
et renvoie à chacun l'image de son devoir, au point de les
exaspérer. Mais l'exaspération reste un hommage. Nous
supportons très mal les qualités des autres car elles révèlent
nos défauts. Le seul à avoir compris c'est Thomas et cela
change sa vie. |