Un petit
exercice: quelle relation à l'échange entretient avec chaque
parole?
1 - |
"Est-ce que nous partons
demain, comme tu l'avais dit ... comme tu l'avais dit
... tu disais que nous irions là-bas, et nous aurions
une maison à nous ..."
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Pages
13 et 14
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2 -
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"Tu as toujours des histoires
à raconter."
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Page
15
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3 -
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"Et c'est alors que tu as
traversé l'Océan blanc afin que tu viennes me
prendre où j'étais."
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Page
16
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4 -
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"M'aimes-tu, Laine? ... Il n'y
a pas de femmes! ... Peut-être que tu vas vers
d'autres femmes ... Où vont tes yeux, tes mains y
vont bientôt."
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Pages
19 et 20
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5 -
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Tu m'as
remmenée avec toi, je ferai ce que tu voudras."
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Pages
15, 21, 24
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6 -
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"Je te connais du moins d'une
manière où tu ne peux tromper, comme un mouton qu'on
pèse , l'ayant acheté ... Tu n'as pas souci de
moi."
Et ainsi il faut que je t'aime toute seule?"
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Pages
25 et 29
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7 -
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"Donne-moi ma part."
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P.
26
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8 -
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"Elle (= ta vie) ne t'a pas été
donnée pour rien."
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Page
27
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9 -
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"Je suis ici pour te la
redemander ... (la vie) ....Jure le!"
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Pages
30 et 31
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1
- Si Louis s'est proclamé, dans une apparente simplicité,
comme prétention à se suffire de son corps et du présent,
indomptable par le sang qui le traverse, confondant liberté et
nomadisme, expansion vers des horizons toujours nouveaux, en
bref comme un être de fuite qui ne peut se fuir, qui ne veut
pas se fuir, Marthe le rappelle à la réalité de lui même, au
Sujet, à ses engagements, à ce qu'il a dit comme à autant de
chaînes dont il s'est revêtu, aux chaînes du contrat.
C'est que dans un mariage (que Claudel affirme toujours être
indissoluble) un échange s'est accompli, garanti par un contrat
dans lequel chacun a quitté sa singularité pour accéder à
l'universalité, comme autonomie, fidélité à la loi qu'il
s'est prescrite: chacun a échangé sa liberté naturelle de
vagabonder selon les désirs et l'imagination pour une liberté
morale: chacun a donné et a reçu. Mais la conduite de Louis
est infidèle et Marthe lui réclame son dû, pour elle et pour
cet enfant qu'elle porte et qui se prépare à aborder aux
rivages de lumière.
2
- Parce que l'échange du mariage, les paroles échangées
promettant le don de soi à l'autre, tissent toujours une
histoire ou tout au moins l'esquisse et l'anticipe en donnant un
sens, une orientation née du consentement, Marthe lui rappelle
ce qu'il a dit et ce qu'il a fait:
-
Ce
qu'il a dit: en choisissant Marthe parmi toutes les
femmes il s'est choisi, il s'est constitué une vie humaine
dans une relation: dire et faire ce qu'il a dit n'est alors
qu'une conséquence de la fidélité promise une fois pour
toute: en ce sens il n'y a plus pour lui qu'une femme
(page 27) et le premier amour doit être le
dernier. D'où la question scandée par la répétition comme
tu l'avais dit (page 13); le
"dire" étant explicité comme engagement, dès la
page 14: aller là-bas, dans un nomadisme ultime, pour s'y
fixer et fonder une famille et "avoir": avoir
exige qu'ils travaillent, gagnent de l'argent et l'échangent
contre un toit. Le temps de la prodigalité assurée par la
dot est fini car il ne reste plus rien de l'argent emporté
par Marthe. Même un indien dans la ville doit alors
travailler pour échanger. Louis Laine comprend il que
"une maison à nous" c'est aussi bien le nid
qu'exige l'enfant à venir? Et cet avenir doit l'arracher à
la jouissance pure et simple de l'instant. Le
"nous" est exigé pour l'épanouissement de
l'enfant.
S'adressant à l'individu, Marthe lui rappelle que dans la déclaration
d'amour il s'est présenté comme Sujet, capable d'aimer, et
elle l'engage à donner la "part de la femme".
-
Ce
qu'il a fait: il est venu "la prendre"
(page 16) et l'a amenée avec lui, ce qui fait d'elle sa
femme et son unique femme: il n'y a pas d'autre femme pour
lui. Ce qui donne à Marthe le droit de réclamer en échange
du don d'elle même qu'elle fait jusque dans ses plus
humbles tâches quotidiennes, la part qui lui revient dans
l'échange, la part de la tendresse, de la fidélité et de
la sincérité. (page 19). Le tout est résumé à la
perfection, page 25, qu'il ait souci d'elle.
La voilà prête à travailler pour l'œuvre commune déjà
commencée dans l'œuvre de chair: "Je ferai ce que tu
voudras", répète-t-elle" (page 15 et 24)
3
- Louis découvre donc par ce que lui dit Marthe une vocation à
s'enraciner, puisque sans racines rien ne grandit et ne
pousse vers la lumière. Ce que Marthe lui réclame n'est rien
d'autre que l'accomplissement, de l'homme qu'il porte en lui,
par une oeuvre. Marthe se présente à lui comme la
planche du salut: comment remonterait-il la pente qui l'aliène
au présent et à la chair, comment échapperait-il à
l'illusion de la liberté qui n'est que le dérèglement des
sens de l'imagination, sans la femme? Comment sauver Rimbaud
sans une conversion?
Et à Louis qui se cramponne à lui même, qui refuse de donner
ce qu'il croit posséder, qui refuse de se perdre pour se
gagner, elle montre qu'en réalité, il s'accroche à une tuile
de toit descellée, à ce qui n'est pas à lui parce qu'il n'a
rien donné en échange à une vie qu'il a reçue pour la
donner: voilà pourquoi Marthe rétorque définitivement:
"Elle (= la vie) ne t'a pas été donnée pour rien (page
27). Comprendre la suite: mais pour que tu participes à
l'enfantement d'une autre vie dans la génération créatrice de
l'amour.
A Louis qui se croit immortel dans une expansion toujours
renouvelée, elle signifie que tout horizon humain est borné
par la mort comme lassitude finale et arrêt du divertissement:
viendra le temps où il désirera désirer et ou il s'assoira
dans la mort (page 29).
4
- Douce, patiente, fidèle, à l'écoute, exigeante envers elle
comme envers Louis, humble servante du seigneur, mais aussi amère
que la vérité, autant de qualités pour Marthe qui , dans un
jeu de miroirs , renvoie Louis à lui même. "Je te connais
du moins d'une manière où tu ne peux tromper." (page 25),
ce qui lui permet de poser la question essentielle le fond du
problème, (The heart of the matter): "M'aimes-tu
Laine?": oubliant le prénom, elle en appelle à
l'homme.
-
Si Louis Laine nous a présenté un endroit, ce
qu'il croit être, où le désir a la folle prétention de se
suffire, alors qu'il se noie dans le besoin de soi, tout en
empruntant des semelles de vent, l'échange verbal avec Marthe,
révèle un envers, une exigence qu'il ne
pourra fuir que dans la mort.
Au début de la pièce Louis porte une dette, d'un point de vue
bancaire, il est dans le rouge. Comment va-t-il finir
par se débarrasser de sa dette? Comment comprendre qu'à la fin
de la pièce Marthe et thomas seront dans le rouge, ils
auront pris sur leur dos une dette envers Louis! |