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Paul Claudel

 L'échange

Perspectives sous forme d'esquisses, par J. Llapasset
Celui qui se cherche s'y trouvera, dans une présentation de la vraie vie ...

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  • 2) Libérer l'échange entre ce que je dis de moi et ce que l'on dit de moi - Louis Laine -

S'il s'agit bien de réagir contre une société  confondant  la réalité avec le personnage qui la masque, s'il s'agit de représenter par une mise en scène la vraie vie, selon le vœu de Mallarmé il faut bien, pour libérer l'échange et rendre possible le dialogue, que chaque interlocuteur parle et fasse entendre sa différence, ce qu'il est le seul à pouvoir dire de lui parce qu'il est le seul à l'éprouver, et qu'il puisse écouter ce qu'on dit de lui, ce que les autres sont seuls à pouvoir dire de lui.
A ce prix, au prix de l'authenticité, la vraie vie sera présentée par des dialogues où s'échangent des sollicitations comme autant d'appels à une reconnaissance de la vérité par consentement mutuel: ce qui est échangé c'est la parole, ce qui exprime alors une vérité profonde d'un individu. La vraie vie, ça bouscule les masques figés dans des grimaces et chacun de tomber , sans avoir toujours à qui se raccrocher, dans l'essentiel qui le constitue , au risque d'être étourdi par la chute. 
Nous allons suivre, pour chaque personnage de l'échange ce "balancement" entre ce qu'il dit de lui et ce qu'on lui dit, ce qu'on dit de lui.

Commençons par Louis Laine.

1 - 

Je ne sais ce que c'est qu'hier et que demain
C'est assez que d'aujourd'hui pour moi

Page 13

2 -

Je ferai ce qu'il me plaît de faire

Page 28

3 -

Je prenais l'argent dans la caisse

Page 16

4 - 

J'ai du sang d'Indien dans les veines

Page 16

5 - 

Je ne fais rien du tout le jour, et je chasse tout seul ...

Page 18

6 -

Je voudrais vivre dans l'eau profonde ...
Je voudrais être poisson, je volerais ... Je voudrais être un serpent dans l'épaisseur de l'herbe

P. 20.21

7 - 

Que fais-tu de mon âme, l'ayant prise.?Je me défie de toi.

P. 26,67

8 - 

Ma vie est à moi et je ne la donnerai pas à un autre.

Page 27

9 -

Je serai libre en tout ! Je ferai ce qu'il me plaira de faire.

Page 28

1 - La possibilité même de l'échange est annulée: pas d'épargne préalable qui exigerait de brider le goût pour l'immédiat, de s'appuyer sur hier pour aller à demain, de donner une orientation et un sens à sa vie par une promesse tenue: par exemple par l'obligation de rendre compte d'un dire passé. Si aujourd'hui suffit à le satisfaire c'est qu'il se contente des deux seules choses qui sont données, le corps et l'instant, c'est qu'il se contente du milieu, le jour, la mer, et de son pouvoir, de sa vie, la liberté naturelle qu'elle lui donne. Il se réduit à des noces avec l'instant, toujours recommencé, avec la mer, avec son corps dans la jouissance de sa vie.
En fait il n'est pas prêt à donner quoi  que ce soit en échange et, au début de la pièce, il arrive effectivement au jour de lumière, réduit à son corps, nu comme un ver, pur comme un innocent. Il renie le dire "ancien" pour s'engager à faire ce qui lui plaît dans le refus de donner une part de sa vie, sans voir, et Marthe le lui rappelle, pourquoi la vie lui a été donnée. Cela revient à s'engager à ne pas s'engager, à ne jamais rien donner, à ne jamais sacrifier l'immédiat de la jouissance (2 -)

3 - C'est d'ailleurs son premier choix de prédateur: il prend l'argent non pas pour échanger mais pour le jeu, pour son plaisir. Il vole, le fruit du travail d'un autre, il refuse de donner en échange. Car échanger serait, lui semble-t-il , maîtriser cette liberté naturelle qui l'enivre, se détourner du présent et du corps, renoncer à vivre dans ce que sa jeunesse semble lui donner à profusion. Pour toujours?

9 - Son futur est dans le présent de l'illusion d'une éternelle jeunesse qu'il rêve de passer entre le ciel, la terre et la fluidité de l'eau, dans des noces avec la nature, dans la prétention d'annuler le temps, dans la répétition du même qui se moque bien de l'altérité, de la prise en considération de l'autre, de l'amour , cet amour qui se nourrit de sacrifices. Prendre, prendre à l'infini de l'azur et d'une mer que pourtant la ligne d'horizon ferme. (Je ne fais rien du tout le jour)

6 - Dans l'épreuve de soi, dans sa vie il communie avec la nature et rêve d'une expansion que rien n'arrêterait dans l'eau, dans l'air et au plus prêt de la terre dans l'épaisseur de l'herbe.
Ce que Louis Laine
( à écouter son nom on  entend un écoulement, une fluidité comme s'il glissait toujours ailleurs) nous dit de lui à travers ces paroles c'est l'endroit, comme une revendication de sa jeunesse qui veut tout sans rien donner en échange. C'est toute sa "pente" qu'il lui faudrait remonter, pour ne pas  s'annuler et  se noyer dans le narcissisme. Mais ce que l'on entend, ce que Marthe nous fait entendre en parlant de lui, en lui parlant, c'est l'envers de cette fausse gloire, le meilleur de lui même : et c'est dans l'échange avec Marthe que l'envers apparaît sans cesse, comme si l'épouse, en contrepoint, était seule à pouvoir le sauver, à l'enfanter à une vie d'homme. Marthe la douce, la servante au plus près du Seigneur, et pourtant toujours amère parce que miroir où viennent se briser les rodomontades du carpe diem.   Marthe ,la conscience de Claudel?

  • Ce que Paul Claudel représente dans cette première scène de l'acte I- (jusqu'à la page 32) c'est la nécessité de l'échange sans lequel aucune vie humaine, aucune vraie vie ne peut apparaître. Aussi bien l'échange du présent et de l'avenir, le sacrifice de l'immédiat dans le "faire sa vie", l'échange du plaisir contre la joie de réussir, l'échange de paroles par lesquelles advient la lumière sur soi, par quoi les idées adéquates se forment.

8 - L'affirmation d'une propriété qui ne veut pas s'échanger masque mal le refus de jouer à qui perd gagne c'est à dire le refus de l'échange. Y aurait-il jusque dans l'échange, d'une manière ou d'une autre, le signe d'un don de soi, d'un renoncement: comme d'un oiseau qu'on prend par les ailes tout vivant (page 16), selon la traduction de Louis Laine, à contresens.
Et la scène I- après un échange flamboyant de vérité et d'authenticité se termine pourtant dans la confusion des sentiments dans le mensonge et dans la méfiance.

Vers la page suivante: Ce que Marthe dit à Louis Laine et ce qu'elle lui dit.

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