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Paul Claudel

 L'échange

Perspectives sous forme d'esquisses, par J. Llapasset
Celui qui se cherche s'y trouvera, dans une présentation de la vraie vie ...

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  • 1) Une multiplicité représentée ou,  les portes de l'avenir

A l'adolescent qui ne désire pas choisir dans la multiplicité des voix qui, comme autant de muses diverses, l'agitent de mouvements contraires, à l'adolescent qui se meut selon les voies de l'expansion ou de la rétractation, entre l'ouverture et la clôture monacale, le paradis promis paraît bien loin du morne positivisme ambiant, la vraie vie paraît toujours absente, selon la plainte de Rimbaud. Et la quiète bourgeoisie se rassure: "il" se rangera comme les autres et deviendra un vieux assis sur les tombes de toutes les facettes sacrifiées au conformisme, sur toutes les interrogations qu'il aura échangées contre la pacotille des propos assagis noyés dans la résignation.

Eh bien, dans le concert des parcours convenus, sitôt accomplis sitôt oubliés, Paul Claudel, tout en filant les métaphores des échanges dans une carrière diplomatique aux quatre coins du monde, assume pleinement ses voix de la chair et de l'esprit, enfante dans la beauté des pièces de théâtre pétries par la force des sentiments, leur conflit préservé. Comme une mère qui refuse de choisir entre les enfants de sa chair et de son esprit.

Pourquoi figurer la vraie vie dans des pièces de théâtre? Parce que Claudel tient de Mallarmé que le théâtre est la voie royale de celui qui veut mettre en scène la vraie vie en objectivant la diversité qui l'habite sous la forme de personnages. A celui qui ne veut pas se figer dans une de ses facettes, le théâtre s'offre, non pas comme un jeu de l'âme mais comme le lieu de la présence, de cette espérance, celle qui foisonne dans l'adolescent et qui lui ouvre, au nom du rêve, "les portes de l'avenir" (page 270). Ce que Mallarmé réduisait à des jeux de l'âme, comme autant de signaux, Claudel l'étend aux affrontements de l'incarnation dans L'échange entre la chair la plus sensuelle (Lechy), l'âme au plus près de Dieu (Marthe), le  prodigue le plus libertin (Louis),  le publicain qui ose mêler la sagesse divine et la sagesse pratique (Thomas).
A l'effarement général, Claudel met cette multiplicité, cette richesse, au service du travail bien fait avec comme résultat une oeuvre où la vraie vie est présente, ou tout au moins présentée sur les planches. Mallarmé avait réagi ainsi à Tête d'or : "Le théâtre, certes, est en vous."

Mais, par quel miracle est-il passé hors de lui? Par quel miracle ce tumulte interne a t-il été objectivé sinon par le miracle de la création. Avec L'échange, nous allons nous tenir au plus près de la création. Quel pont Claudel jette t-il entre le moi et le monde?

Le fondement de l'échange apparaît ici. Si l'échange est toujours possible, c'est que de l'un à l'autre des personnages il y a plus une différence de degré, d'orientation et de tension, qu'une différence de nature: par une conversion toujours possible au bien ou au mal, chaque personnage peut changer et échanger le rôle. Voilà pourquoi, le publicain Thomas "précèdera" peut être dans le royaume de Dieu (page 263). Voilà pourquoi Marthe "tend" la main à Thomas, à la fin de la pièce, désignant ainsi à l'enfant qui naîtra d'elle le père qu'il nécessite et qu'il mérite.
"Elle lui tend la main qu'il serre en silence" dit la première version, page 127.
"Elle lui tend la main sans le regarder", écrit, cinquante ans plus tard, Claudel dans la deuxième version, page 259.

Nous allons donc entrer en relation avec un Claudel, véritable éléphant blanc, énorme à profusion, soucieux de ne rien sacrifier de ce qui l'habite, mais qui veut conduire sa multiplicité, l'ordonner à la création d'un nouveau monde par un travail d'enfantement: les quatre personnages sont des délégués qui le représentent sur la scène dans un conflit  commençant par la "prise" d'une femme (par Louis) et qui se résout dans l'échange d'une main tendue , d'un enfant promis et accepté.

 

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