On s’est attaché à la persistance de ce qui est au lieu
de tourner le regard vers la présence même. Ainsi a été
gommée la distinction de l’être et de l’étant, de la
présence et de ce qui est présent. Il faut, par conséquent,
distinguer avec la plus grande attention, la substance qui
demeure en tant qu’elle est conçue à partir de l’étant,
et l’être même de cet étant comme pure présence se
retenant dans l’apparition.
Dès lors,
en tant que le langage dénote à partir des choses qui
sont, nous sommes contraints de ne reconnaître son
incapacité foncière à dire le présent. Le présent véritable
ne peut pas se dire, encore moins se définir et c’est ce
qui fait son essence. Nous pouvons tout simplement dire
qu’il y a donation perpétuelle de l’être à l’étant.
Mais cette donation, ne se montrant pas comme un étant qui
est, ne se laisse pas exprimer. Elle ne s’offre qu’à la
condition de se refuser, comme le rappelle Heidegger. Or,
l’homme est justement cet étant qui permet l’éclosion
de l’être au milieu de l’étant car il voit qu’il y a
des choses. Mais l’être en vérité n’est pas de ces
choses qui ne se déploient qu’à la faveur du regard.
L’être, le réellement présent, est dans le il
impersonnel du il y a des choses qui sont présentes. Ce Il
est la présence du présent. C’est lui qui présente mais
lui-même ne se présente pas, sinon en se dissimulant.
Ainsi la condition pour que le présent se donne est
justement de ne pas chercher à le dire.
En conséquence,
nous voici bien reconduit à l’aporie qui nous guettait dès
le début de cette recherche. Mais ce long détour, s’il
ne nous permet pas de dire ce qu’est la présent, nous a néanmoins
offert de voir ce qu’il n’est pas et ainsi de le laisser
apparaître en décalque. Le présent, seul, isolé de ses déterminations
temporelles, est pure présence. Pur événement, il surgit
dans l’actualité de l’être pour annoncer la venue de
notre regard sur les choses. De là s’engendre ensuite
quelque chose comme un monde, un monde qui, en sa face
rigide et constituée, doit être parcouru dans le défilé
spatio-temporel de notre perception. Alors le présent, étranglé
entre le passé et le futur, n’offre que sa fulgurante
disparition. Mais c’est là sans doute que se cache son
profond secret. Dans son moindre être, cet infime présent
de nos préoccupations humaines, nous offre de comprendre ce
qui n’est qu’en n’étant pas. Le présent est alors le
cadeau, le présent, que nous fait l’existence de pouvoir
l’apercevoir dans ce qu’elle est, pure présence, qui ne
se donne jamais que gratuitement, hors de tout intérêt
pratique ou théorique. En ce sens, le présent est un
monstre. Il montre mais ne se montre pas. Il est un mystère
qui fait signe et ne se présente jamais que dans son
absence. Fusis kruptesqai filei. « La Nature aime à
se cacher » disait Héraclite.
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