° Rubrique Philo: Capes-Agreg

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Rubrique proposée et animée par  François Palacio

Dissertations de philosophie

Le présent   (6 heures)

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Dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, D’Alembert a une remarque particulièrement féconde. Il nous dit que, pour celui qui saurait embrasser l’Univers d’un seul regard, ce dernier apparaîtrait comme un unique fait. Cette idée a ceci d’intéressant qu’elle conduit à concevoir la pluralité et la distinction des êtres et des choses comme le résultat de notre inscription finie. En effet, comment ne pas voir que l’espace, et par conséquent le temps, n’apparaissent comme étendus qu’à la condition de ne pouvoir justement embrasser d’un seul regard une totalité qui, toujours, déborde les points de vue que l’on peut tenir sur elle, ou plutôt en elle ? Dans cette perspective, ne pourrait-on concevoir le temps du point de vue du tout comme un unique instant, celui de la contemporanéité de l’existant à lui-même, sub specie aeternatis ? Aussi convient-il de se demander si le temps ne se réduit finalement pas à un événement unique, celui de la présence à soi dont notre propre présent n’est que le décalque mal positionné, la tentative jamais achevée d’en réunir les parties que notre regard sépare. Quelle prodigieuse distance alors de ce présent unique à notre présent morcelé et insaisissable! Mais comment dès lors concevoir le rapport de ces deux présents, dont l’un n’est que le fantôme évanescent de l’autre ? Quel est le rapport du présent à la présence ?

Or, c’est néanmoins dans cette distance même, comblée par un passé qui n’est plus et un avenir qui n’est pas encore, que se loge pour nous la présence du monde. C’est là que nous est offert le présent inestimable que constitue l’ouverture à l’être. Mais quand il s’agit de nommer ce présent véritable, quelles difficultés sont les nôtres pour ressaisir dans la durée ce qui s’offre dans l’actualité pure. C’est pourtant le problème de l’essence du présent qu’il nous faut percer pour parvenir à la reconnaissance de l’être même. Mais comment dire ce qui, pour nous, n’est qu’en cessant d’être ? Comment définir ce qui n’est que passant et qui dans son actualité même nous apparaît comme la fuite perpétuelle d’un horizon inatteignable ?
Aussi, nous mettant en route sur le chemin d’une définition du présent, ne devons-nous pas reconnaître l’injonction qui nous interdit de pénétrer une telle enceinte ? La recherche d’une définition du présent ne nous mène-t-elle pas à l’aporie ?

 

Commençons, en effet, par admettre la difficulté de dire ce qu’est le présent. Allons même plus loin et osons reconnaître qu’il n’est pas possible de dire le présent sans par là même l’anéantir. Tenons ce simple constat : dire ce qu’est le présent suppose un étalement dans le temps et implique par conséquent la durée de son énonciation. Or la durée est l’étalement temporel par lequel le présent glisse au passé et appelle le futur. Pouvoir dire ce qu’est le présent va donc supposer une abstraction. En tant que pur événement, en tant qu’actualité pure, le présent se confond avec l’instant. L’instant, in-stans, est ce qui se tient dans, dans le maintenant. Le main-tenant est saisie dans la main, mais comme la main qui recueille le sable le laisse sans cesse échapper, ainsi l’instant fuit le présent de notre sensation. N’est-ce pas dès lors de par la récollection de tous les instants en un instant unique, mais parfaitement abstrait et par là-même absent, que nous vient la possibilité de le percevoir ? C’est cette déception de la conscience sensible que Hegel montre, dans le Premier chapitre de la Phénoménologie de l’Esprit, conduire de la sensation d’un maintenant-là à la conception du maintenant universel comme unité réflexive.

Or, de ce point de vue, il apparaît clairement que le présent n’est susceptible que d’une définition dialectique. Le présent, en effet, est une notion contradictoire, qui n’existe qu’en tant qu’elle se nie. Aussi, s’il est possible de parler d’un présent, ce dernier n’est point celui dont nous faisons l’expérience immédiate, mais le résultat d’une abstraction géométrique. Comment concevons-nous réflexivement le temps sinon comme une ligne que l’on tire ? Sur cette ligne le présent véritable est le point où toujours l’on passe. Mais si nous tentons de nous y arrêter pour le concevoir, alors nous l’immobilisons et  ne demeurons face qu'à un point inerte. Ou nous renonçons à saisir le sans-cesse fuyant, ou nous nous satisfaisons d’un point mort. Ne pourrait-on alors retenir les moments dans leur apparition sur la ligne ? Mais alors l’instant apparaît comme décomposable à l’infini. Nous voici finalement acculés au paradoxe de Zénon : la flèche qui doit traverser tous les instants successifs n’avancera pas puisque toujours un nouvel instant se présentera qu’il lui faudra traverser, et ainsi à l’infini. Or qu’a-t-on dès lors produit sinon une géométrisation de la durée, comme Bergson aime à la critiquer. En concevant ainsi le temps, on ne saisit pas l’instant mais sa représentation dans l’espace. Il s’agit par là d’engendrer l’instant à partir de son résultat, la durée. Or, comme le rappelle les Stoïciens, et plus particulièrement Marc-Aurèle, seul le présent est réellement, « le passé et le futur n’existent absolument pas, mais subsistent ». Seul l’instant existe.

 

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