I-
LA MACHINE RUSE AVEC LA NATURE
Grec : mechanê =
ruse / art / machine
A-
L’outil et la machine
Thèse :
on pourrait dire que l’outil ruse avec la nature. La
machine est-elle un outil ?
Argument :
qu’est-ce qu’un outil ?
Prolonge
l’action.
Dérive
de la technê.
Conduit à l’art : disposition
accompagnée de règle vraie capable de produire
(Aristote). Il ne s’agit pas de la simple exécution mais
du savoir-faire.
L’outil
appelle celui qui le manie : l’ouvrier.
Le
principe de l’action est dans l’ouvrier.
L’outil
transmet la force fournie par l’ouvrier.
Aristote
imagine une force autonome (Politique,
I, 4) : Si donc il était possible à chaque instrument
parce qu’il en aurait l’ordre ou par simple
pressentiment de mener à bien son œuvre (…), si les
navettes tissaient d’elles-mêmes et les plectres jouaient
tous seul de la cithare, alors les ingénieurs n’auraient
pas besoin d’exécutants ni les maîtres d’esclaves ».
La
différence entre l’outil et la machine est l’indépendance
de cette dernière. La machine est donc ce qui incorpore
l’ouvrier. La machine est donc plus qu’un outil.
Allons
plus loin.
Diderot :
à propos d’une machine à faire des bas : « une
des machines les plus compliquées et les plus conséquentes
que nous ayons : on peut la regarder comme un seul et
unique raisonnement, dont la fabrication de l’ouvrage est
la conclusion ».
Comparaison
instructive. Pour Aristote, la nature dans ses productions
syllogise. Ici c’est la machine.
Le
savoir du faire est inscrit au sein même de la machine.
B
- Mécanisme et machine
Thèse :
Or, la possibilité de la machine dépend d’une refonte
conceptuelle où le savoir technique n’est plus simple
observation empirique mais une norme rationnelle qui
commande la production.
Argument :
-
Antiquité : distinction- théoria : contemplation
portant sur des objets purement intelligibles
-
poiêtikê : concerne les étants susceptibles de
modifications.
Age
Classique : du point de vue de l’Idée, tous les
objets sont concevables et exprimables en termes mathématiques
et de proportions géométriques = étendue, figure,
mouvement.
Seulement
sous ce mode que les corps peuvent être adéquatement
compris.
Du
point de vue de la nature sensible et corporelle du sujet :
ils ont trait à l’appétit et ne concernent que
l’utilité ou la nuisance. Dès lors, le corps de
l’homme lui-même est soumis aux lois du mouvement.
Descartes,
Méditations Métaphysiques,
VI : « Et comme une horloge, composée de roues
et de contrepoids n’observe pas moins exactement toutes
les lois de la nature (…) de même aussi, si je considère
le corps de l’homme comme étant une machine tellement bâtie
et composée d’os, de nerfs, de muscles, de veines, de
sang et de peau, qu’encore bien qu’il n’y eût en lui
aucun esprit, il ne laisserait pas de se mouvoir en toutes
les mêmes façons qu’il fait à présent… »
Dès
lors : connaître un corps, c’est pouvoir en
reconstituer le mouvement (ex. mécanique céleste) en les
rendant mesurables et prévisibles. Autrement dit ce que
l’homme peut concevoir c’est le mouvement qu’il
pourrait recomposer. Le savant et l’ouvrier se rejoigne
dans la figure de l’ingénieur, celui qui par son génie
peut œuvrer comme la nature.
Ainsi :
plus de différence entre un animal et une horloge.
C-
Automate et automatisme
Thèse :
de ce point de vue mécaniste trop rigide, la machine ne
parvient pas à conquérir son autonomie.
Argument :
La simple transmission du mouvement crée l’automate
=
celui qui se meut lui-même.
C’est
un système clos, comme une horloge qui une fois remontée
n’a plus qu’à laisser tourner ses rouages.
Le
XVIIe conçoit l’automate comme une imitation de la
personne et de ses mouvements (ex. canard digesteur de
Vaucanson).
Or
pour dépasser le simple ouvrage d’art, le modèle mathématique
ne doit pas viser la transcription du mouvement naturel mais
chercher à reproduire l’intégration du comportement, c.
a. d. un système de communication entre l’intérieur et
l’extérieur.
Remise
en cause du paradigme de l’horloge tel que Mersenne dans
le Traité de la
voix et des chants pouvait se le représenter :
« On peut dire que les bêtes n’agissent pas mais
qu’elles sont agitées, et que les objets font une telle
impression sur leur sens, qu’il leur est nécessaire de la
suivre comme les roues d’une horloge suivent les poids ou
les ressorts qui la tirent ».
Contre
cette conception mécanique, il faut concevoir l’animal
comme répondant à son milieu = système dynamique
Ainsi
comme l’évolution biologique (Darwin) consiste dans la résolution
de problèmes posés par l’environnement, la machine résout
les problèmes que posent les lois naturelles à l’action
humaine.
Ainsi
l’automatisme reproduit un comportement non pas naturel
mais conçu.
Conclusion
Comme
l’outil, la machine répond à un problème
Comme
l’organisme, elle s’intégrer dans un processus naturel :
transformation de l’énergie, transmission de la force,
action.
Mais
à la différence, sa finalité demeure extérieure. D’où
le rôle du mécanicien qui consiste, non pas à actionner
la machine, mais à assurer le bon déroulement des opérations.
Or
approfondissons, après ces traits généraux : comment
fonctionne la machine ? |