Conclusion:
Finalement,
il serait possible de conclure que la religion, du fait même
que nous l'interrogeons, a cessé de remplir son rôle. Ce
dernier consiste en effet à fournir une justification de
l'ordre social et politique sur un mode tel que son origine
surnaturelle nous empêche de le remettre en cause. Or le
monde que la religion catholique justifiait était celui
d'une vérité absolue, révélée et dont la discussion était
impossible. Mais l'avènement de la réforme protestante et
la naissance du droit de conscience qui s'ensuit remet
justement en cause ce primat d'une vérité unique et rend
possible l'argumentation et la discussion rationnelle des
articles de foi. Finalement la confiance en la rationalité
humaine en arrive à jouer le même rôle d'évidence
naturelle que l'obligation irrationnelle de croire en un
Dieu transcendant autrefois.
Ainsi
si l'on entend par religion, une doctrine absolue comme le
fut le dogme chrétien alors la question d'en finir avec la
religion ne se pose pas, elle est déjà évacuée. Par
contre, si l'on entend par religion l'acceptation spontanée
de principes légitimant l'ordre social, alors celui qui
critique la religion au nom de la raison agit lui-même
religieusement à l'égard de la rationalité qui constitue
la plus haute valeur de la modernité occidentale.
On
pourrait cependant nous reprocher de voir dans la confiance
accordée aux valeurs humanistes des droits de l'homme une
survivance du fait religieux. Nous ne croyons pas en effet
en une origine transcendante de ces droits. Mais pourtant si
l'on considère que l'essence humaine que vise à réaliser
ces droits n'existe qu'en idée, alors dans la mesure où
nous faisons d'une idée la norme de
notre action nous agissons bien comme le croyant qui agit en
vue de Dieu sans pourtant le voir.
Finalement
la question de la nécessité d'en finir avec la religion
porte peut-être non pas tant sur la nécessité d'en finir
avec la fonction que remplit la religion, l'accord spontanée
aux principes de notre culture, que d'en finir avec une
ancienne forme de religion dont la rationalité a émergé
et dont elle cherche à se défaire.
Mais
le risque pourrait être alors de condamner par là même
d'autres formes religieuses qui, pour d'autres peuples à
l'histoire différente, continuent de jouer un rôle
symbolique nécessaire. En finir réellement avec la
religion devrait peut-être consister alors à reconnaître
la nécessaire relativité de nos valeurs qui nous semblent
si naturelles justement parce que ce sont celles qui
structurent l'expérience du monde dans lequel nous vivons.
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