III-
Peut-on en finir avec la
religion?
Si
la religion légitime l'adoption de certains principes
sociaux en les donnant pour naturels, alors la question si
commune et si évidente de la nécessaire sortie de la
religion ou du moins la reconnaissance par les peuples démocratiques
du libre examen rationnel comme droit naturel ne
constitue-t-il pas pour nous un tel a priori? De ce point de
vue la remise en question de la tradition au profit d'une
conception déterminée de la liberté humaine, la critique
de la religion au profit des droits de la raison, n'est-il
pas pour nous une certaine forme de religion? La question Faut-il
en finir avec la religion devient dès lors Peut-on
en finir avec la religion?
A) Le
processus de rationalisation
Thèse:
Si l'on s'en tient à la définition que nous avons donné
du fait religieux – accord spontané et instinctif sur une
réalité sociale constituée, accord naturel et partant
inconscient – alors le fait que nous posions la question Faut-il
en finir avec la religion montre que la religion ne va
plus de soi et n'est donc plus naturelle pour nous mais est
devenue l'enjeu d'une discussion consciente. Par là même
nous sommes, au moment où nous posons la question, déjà
sortie de la religion.
Argument:
En effet, dans la mesure où l'examen rationnel et
conscient suppose que la religion puisse faire l'objet d'un
désaccord et d'une discussion réfléchie, la religion a
cessé de constituer pour nous une obligation a priori.
Soumettre
la religion à un examen rationnel, c'est d'emblée se
situer hors de la religion et donc
reconnaître qu'elle a cessé de jouer son rôle d'efficace
sociale. Pour conserver sa fonction, la religion doit
consister en un a priori absolu et incapable de remise en
cause. Elle doit structurer la réalité sociale et non pas
être l'objet d'un choix.
Ainsi-
dès la Réforme et l'acceptation du droit de conscience, la
religion est devenue pour nous objet d'examen, si bien que
le problème est devenu de ménager un espace permettant la
libre cohabitation d'opinion divergentes coexistant de manière
pacifique.
De
là est né la distinction d'une sphère privé et d'une sphère
publique, la sphère politique reconnaissant le droit à
chacun d'user de sa propre raison comme d'un droit naturel.
L'Etat n'a dès lors pas pour but d'imposer un culte
particulier, mais de garantir à chacun la libre expression
de sa pensée et de sa foi. C'est ce principe que l'on connaît
sous le nom de laïcité. L'Etat laïc incarne donc la
valeur suprême de la rationalité humaine entendue comme
possibilité de libre examen.
Conséquence:
c'est la rationalité, comme possibilité de libre
discussion, qui est venue occupée dans l'intériorité de
l'individu la place qu'occupait alors la religion.
B)
La religiosité du droit
Thèse:
Or, le principe de laïcité suppose le
droit à chacun de pratiquer le culte de son choix. La seule
chose qui est obligatoire est le respect des autres cultes.
De ce point de vue, du point de vue du droit et de l'Etat,
les religions s'égalisent comme autant de manifestations
particulières d'une même liberté fondamentale de
conscience. C'est donc ce droit lui-même qui devient la
valeur universelle exprimant la signification de l'existence
humaine.
Mais,
cette idée si naturelle pour nous ne constitue-t-elle pas
une manifestation de nos mœurs particulières? La
reconnaissance du droit comme principe universel ne
fonctionne-t-elle pas comme un a priori social dont nous
avons vu qu'il nous permettait de qualifier l'essence du
fait religieux?
Argument:
on peut considérer la reconnaissance des droits de l'homme
et du citoyen comme l'aboutissement d'un processus
historique et donc une création humaine.
Mais,
elle se présente avant tout comme une définition de
l'essence humaine. Cette reconnaissance joue donc le même rôle
qu'une qualification religieuse de l'existence humaine.
Exemple:
Tocqueville dans L'Ancien Régime et la Révolution
compare la Révolution Française à une révolution
religieuse. " Révolution religieuse : prenant
leur fondement dans la nature humaine elle-même, elles
peuvent être reçues également par tous les hommes et
applicables partout." " La Révolution Française
a considéré le citoyen d’une façon abstraite, en dehors
de toutes les sociétés particulières de même que les
religions considèrent l’homme en général, indépendamment
du pays et du temps."
Ainsi-
La définition que les droits de l'homme et du citoyen donne
de l'existence humaine est obligatoire dans la mesure où
nous l'acceptons a priori // religion.
Elle
a une fonction d'unification sociale pour les nations démocratique
// religion.
Par
conséquent-
La fonction religieuse demeure dans le droit sans que
persiste son nom. Car c'est justement contre et à l'intérieur
d'une certaine forme de religion que notre droit s'est
constitué.
Exemple:
Les révolutionnaires français placent la constitution de
1791 sous les auspices de l'Etre suprême.
C)
Le cercle de l'athéisme
Thèse:
Ainsi le processus de rationalisation qui conduit à
l'examen de la religion a su purifier les formes extérieures
du fait religieux en y voyant que différentes créations
culturelles et historiques.
Mais,
la rationalité – en tant que libre
discussion des préjugés telle qu'on la conçoit au siècle
des Lumières – est justement né du réaménagement
structurel de la religion chrétienne.
Argument:
La critique de la religion suppose elle-même les formes
historiques que la religion chrétienne a mis en place à
partir de la Réforme.
Donc-
On peut donc
considérer que la confiance (con-fides) en la rationalité
est elle-même une forme a priori dont la fonction est avant
tout social.
En
effet- lorsque
l'athée critique la religion en faisant de la raison
l'essence même de l'homme, il porte un jugement qui se veut
absolu et qui a pour fonction de supporter l'identité
sociale de la civilisation moderne.
Freud:
Psychologie des foules et analyse du moi- La
religion consiste à installer à la place de l'idéal du
moi un objet commun à tous les membres d'un même groupe,
ce qui a pour effet de permettre à chacun de s'identifier
à tous les autres.
Ainsi-
Les valeurs contemporaines auxquelles nous adhérons spontanément
sont autant d'objets d'identification possible qui, de par
leur évidence pour nous, masque leur origine historique
particulière et contingente:
- droit
universel
- rationalité
économique
- progrès
scientifique
Conclusion:
celui qui porte un jugement de valeur sur la religion oublie
d'interroger la valeur de ses valeurs. Il est encore aveugle
aux déterminations inconscientes qui structurent son appréhension
de la réalité sociale.
Conclusion |