° Rubrique Philo: Capes-Agreg

- Fiches d'aide à la préparation au CAPES -
Rubrique proposée et animée par  François Palacio

- Épistémologie

E. Boutroux. De la contingence des lois de nature  (1874)

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Ch. IV- De la matière.

Lorsque l’on voit les organes les plus différents provenir de parties à peu près semblables, ces parties elles-mêmes s’identifier et finalement se ramener à un élément microscopique composé uniquement d’une couche solide, d’une couche molle et d’une couche liquide : on peut se demander si le monde vivant, par son extrémité inférieure du moins, ne tient pas au monde inorganique ; et si le simple jeu des forces physique et chimiques ne suffit pas à engendrer, non, sans doute, immédiatement les organismes compliqués, mais tout d'a’ord la matière vivante élémentaire, et ensuite, par cette matière même, toute la hiérarchie des formes organiques.

Il semble donc qu’il n’y ait, entre le monde vivant et le monde physique, qu’une différence de degré : une plus grande diversité dans les éléments, une plus grande puissance de différenciation, des combinaisons plus complexes. L’observation des êtres vivants, considérés au point de vue de leur nature actuelle, confirme-t-elle de tout point ces inductions fondées sur leur genèse ?

En quoi consiste l’acte vital, l’organisation ? Il est clair qu’il n’est pas suffisamment défini par le terme de combinaison. Il ne consiste pas dans la formation d’un agrégat analogue à un morceau de soufre ou à une goutte de mercure, mais dans la création d’un système où certaines parties sont subordonnées à certaines autres. Il y a, dans un être vivant, un agent et des organes, une hiérarchie.

Cet ordre hiérarchique a-t-il sa raison suffisante dans la propriété qu’ont les éléments anatomiques d’acquérir des formes différentes les unes des autres ? Non sans doute, parce qu’il faut que la différenciation ne se produise pas au hasard, pour que certaines parties se subordonnent aux autres ; il faut que la cellule se comporte autrement que la matière chimique proprement dite, laquelle, à travers les formes qu’elle revêt, ne parvient pas à créer de systèmes hiérarchiques.

L’être vivant est un individu, ou plutôt, par une action continuelle, il se crée une individualité et engendre des êtres capables eux-mêmes d’individualité. L’organisation est l’individualisation.

Ainsi l’être vivant renferme un élément nouveau, irréductible aux propriétés physiques : la marche vers un ordre hiérarchique, l’individualisation.

Si l’on entend par la vie un principe un, simple, immatériel, qui coordonne des moyens en vue d’une fin, l’idée de la vie ne peut dériver de l’observation des êtres vivants. Car nous ne voyons pas qu’ils aient jamais une unité absolue.

 Ainsi l’idée d’un principe vital un et intelligent est à la vérité une idée a priori, mais cette idée n’est nullement présupposée par la connaissance des êtres vivants. Si elle peut être admise, c’est comme interprétation physique des faits, non comme point de départ de la recherche expérimentale. Ainsi la vie, considérée comme totalité et harmonie, comme unité statique et dynamique, n’est pas l’objet d’une notion a priori.
Le rapport qui l’unit aux propriétés physiques nous est donné par l’expérience et en partage les caractères.

Mais si la vie n’est pas enchaînée aux agents physiques, ne porte-t-elle pas en quelque sorte la nécessité en elle-même ? N’obéit-elle pas à des lois spéciales, dites physiologiques, qui ne laissent que peu ou point de place à la contingence ?

Ch. VII- De l’homme

La conscience n’est pas une spécialisation, un développement, un perfectionnement même des fonctions physiologiques. Ce n’en est pas non plus une face ou une résultante. C’est un élément nouveau, une création. L’homme, qui est doué de conscience, est plus qu’un être vivant. En tant qu’il est une personne, en tant qu’à tout le moins son développement naturel aboutit à la personnalité, il possède une perfection à laquelle ne peuvent s’élever les êtres qui ne sont que des organismes individuels.

La création de l’homme, être conscient, ne s’explique donc pas par le seul jeu des lois physiques et physiologiques. Son existence et ses actes imposent à la nature des modifications dont elle-même ne peut rendre compte, et qui apparaissent comme contingentes, si l’on se place au point de vue du monde physique et du monde physiologique.

Conclusion

 Lors même que la science a pu prendre la forme déductive, il ne s’ensuit pas que les conclusions en soient objectivement nécessaires. La valeur des conclusions est précisément celle des principes fondamentaux ; et, si ces derniers sont contingents, la contingence s’en transmet nécessairement à toutes les propositions que le syllogisme en fait sortir. Or toute science purement déductive a un caractère abstrait et subjectif. Les définitions exactes ne sont possibles qu’à ce prix. Ce sont des synthèses artificielles de concepts, appauvris de manière à devenir entièrement intelligibles. On ne peut donc appliquer aux choses elles-mêmes la détermination inhérente aux définitions des sciences déductives.

Ainsi chaque monde donné possède, par rapport aux mondes inférieurs, un certain degré d’indépendance. Il peut dans une certaine mesure intervenir dans leur développement, exploiter les lois qui leur sont propres, y déterminer des formes qui n’étaient pas appelées par leur essence. Mais chaque monde ne porte-t-il pas en soi, comme une fatalité interne, une loi qui en régit les phénomènes ; et ainsi la contingence des phénomènes n’est-elle pas en définitive une pure illusion ?

Il est inexact de dire que les lois régissent les phénomènes. Elles ne sont pas posées avant les choses, elles les supposent ; elles n’expriment que les rapports qui dérivent de leur nature préalablement réalisée. La science déductive est radicalement abstraite. Elle détermine les rapports des choses, à supposer que la nature en demeure immobile.

Au fond, il n’est pas un rapport réel d’antécédent à conséquent, si général qu’on le suppose, qui se puisse concevoir comme nécessaire. Car la nécessité ne peut consister que dans le rapport quantitatif de l’antécédent au conséquent. Or la quantité ne se conçoit que comme mesure de la qualité, comme subordonnée à la qualité ; et celle-ci, indéfiniment perfectible, et dissemblable d’elle-même pour deux degrés de perfection aussi voisins l’un de l’autre que l’on voudra, ne trouvant d’ailleurs dans la quantité extensive ou répétition stérile d’une même chose aucun élément de perfectionnement, ne peut admettre que comme accidentelle et relative, non comme essentielle et absolue, l’homogénéité et la permanence requise par la catégorie de quantité. La loi de la conservation de l’être est donc contingente.

 Selon la doctrine de la contingence, il est chimérique, il est faux de prétendre ramener l’histoire à une déduction pure et simple. L’étude de l’histoire des êtres acquiert, de ce point de vue, une importance singulière. Il se trouve qu’au lieu de s’éloigner des principes des choses, comme il arriverait si leur histoire était contenue en germe dans leur nature et n’en était que le développement analytique et nécessaire, la science dynamique s’en rapproche, au contraire, plus que la science statique. C’est l’acte qui implique l’essence, bien loin que l’essence puisse expliquer l’acte. Ce n’est donc pas la nature des choses qui doit être l’objet suprême de nos recherches scientifiques, c’est leur histoire.

La déduction, qui se développe les conséquences d’une définition mathématique, n’est pas un type de liberté, mais de nécessité ; encore bien que cette nécessité purement interne se distingue logiquement de la nécessité externe ou fatalité proprement dite.

Est-il vraisemblable que l’idée de la nécessité, inhérente à l’entendement, soit sans aucune application légitime ? A mesure que l’on gravit l’échelle des êtres, on voit se développer un principe qui, en un sens, ressemble à la nécessité : l’attrait pour certains objets. Il semble que l’être soit conduit nécessairement. Mais il n’est pas poussé par une chose déjà réalisée, il est attiré par une chose qui n’est pas encore donnée, et qui, peut-être ne le sera jamais.

Les êtres de la nature n’ont pas pour unique fin de subsister, à travers les obstacles qui les entourent, et de se plier aux conditions extérieures : ils sont un idéal à réaliser ; et cet idéal consiste à se rapprocher de Dieu, à lui ressembler, chacun dans son genre.

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