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Henri BERGSON 

"Les Deux Sources de la morale et de la religion

par Alain Panero 
Agrégé de philosophie - Docteur de l'Université de Paris IV-Sorbonne

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Certes, de telles perspectives paraîtront encore trop métaphysiques. Car on  imagine mal qu'une telle approche de la temporalité des décisions à prendre ou des avis à donner puisse être un préalable à la modélisation et à la prise de décision.  Il y a une urgence de l'action, une urgence de la décision à prendre qui n'attend pas que se constitue une métaphysique du temps. Alors qu'en retenir ? Peut-être une seule idée ou opinion : nos normes sont sans doute, à un niveau ou un autre, l'expression d'une certaine expérience du temps. D'où un troisième niveau d'analyse que je souhaiterais pointer en guise de conclusion.

          Du point de vue d'une histoire des idées, du point de vue d'un certain fond culturel commun (occidental ? ), il importe de noter une certaine inflexion, un virage, un "tournant" si l'on veut. Je voudrais suggérer ici l'idée suivante : il se pourrait que l'on passe (que l'on soit en train de passer) d'une logique éternitaire de la décision à une logique effectivement temporelle de la décision. S'il y a une influence des idées philosophiques sur notre culture, il convient de reconnaître que jusqu'au XXè siècle, la pensée philosophique du temps a surtout été une pensée de l'éternité et donc de l'inessentialité du temps. Ce qui veut dire que l'unité des hommes  (l'accord des esprits) dans l'éternité, dans Dieu, dans la Raison universelle, était présupposée (et ce, même dans certaines pensées contemporaines religieuses ou laïques qui prétendent tenir compte du temps). Aujourd'hui, avec la découverte de la temporalité, avec la prise en compte du passage en tant que tel, de l'hétérogénéité des temps individuels, bref de l'essentialité d'un  temps irréductible à l'atemporel, force est de reconnaître que les normes ont changé et changent en profondeur : il ne peut plus s'agir de vibrer à l'unisson de l'éternité de l'Esprit. La découverte de la durée est ipso facto l'épreuve de la discordance, d'une discordance qu'aucun modèle d'univocité ne peut faire cesser en profondeur. Il y a certes des modélisations, des harmonisations, des synchronisations (on dit que l'on "remet les pendules à l'heure"), des resynchronisations (on dit que l'"on recommence à zéro"), des systèmes hiérarchisés de normes, des procédures opératoires de leur application ordonnée. Mais l'endosmose des durées  (la "sympathie" au sens bergsonien) demeure  inégale (tel le temps de l'événement ritualisé qu'est la fête) ou concerne des domaines par trop privés (tel le temps choisi du loisir, partagé en famille ou entre amis) ou des domaines semi-publics finalement peu probants (tel le temps partagé d'un sport collectif, ou parfois, du travail en équipe). Bref, nous n'avons pas encore les moyens de penser de larges et profondes synchronisations sociales (des synchronisations "internationales" ou "mondiales" durables, c'est-à-dire un temps historique synchronisé). Ce qui veut dire que la question de la perte de l'unité de l'Esprit (avec désormais pour espoir une univocité qui est moins que l'unité réelle mais qui est davantage qu'une pseudo-unité de l'Esprit) n'est pas seulement la question de la perte des idoles et des arrière-mondes. Le problème n'est plus d'opposer sensible et suprasensible et de parler en termes de croyances perdues (nihilisme) ou d'illusions à rétablir (l'idée religieuse de providence, l'idée d'un sens de l'Histoire ou la perspective utopique d'un avenir meilleur). Le problème est désormais de faire face à l'hétérogénéité des durées et des temps singuliers. C'est sous cet angle que ne peut manquer d'apparaître dorénavant la difficile question d'une synthèse de la liberté et de l'égalité. A défaut de pouvoir s'appuyer  sur ce principe supérieur de synchronisation qu'est la fraternité (17), on peut se demander si la dynamique classique du droit n'est pas le principe d'univocité par défaut (temps procédural, temps de la jurisprudence, variation des normes avec les époques et les mentalités, etc.) sur lequel il faut, après tout, encore et pour longtemps, s'appuyer (un peu comme le temps de l'horloge est certes pour Bergson un principe d'univocité et de synchronisation par défaut mais un principe éminemment indispensable à la vie sociale).

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-(17) Dans les Deux sources, Bergson examine la "devise républicaine" et note que seule la notion de fraternité permet de "réconcilie[r] ces deux soeurs ennemies" que sont la liberté et l'égalité. Ce recours à l'idée de fraternité prouve, d'après lui, que la "démocratie est d'essence évangélique", p.300/1215.

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