Comment
Madame de Lafayette voit-elle l'homme (l'être humain)?.
Avec
beaucoup de clairvoyance, la Princesse de Clèves s'adresse
ainsi à monsieur de Nemours: "Vous avez déjà eu
plusieurs passions, vous en aurez encore: je ne ferais plus
votre bonheur..."
Pourquoi cela? |
On serait tenté
de dire que madame de Lafayette voit l'homme à travers la lecture
de Descartes. Pourtant, si la passion est bonne selon Descartes,
pour madame de Lafayette, la passion est mauvaise non seulement
par le désordre social qu'elle provoque, mais surtout par le
malheur dans lequel elle installe l'homme (monsieur de Clèves)
qui a cru voir devant lui le bonheur incarné en voyant
mademoiselle de Chartres. Malheur d'un amour qui tire son ardeur
des entraves, qui cherche à posséder un être de fuite, qui se
trouve plongé dans les affres de la jalousie.
Pas de repos pour
l'âme passionnée. La Princesse n'échappe pas à ce sentiment
qui va imprégner tous ses états de conscience, et qui est né de
l'éclair d'un regard partagé, d'un coup de foudre. D'une
certaine manière elle est ce sentiment, ce qui s'éprouve
soi même, ce à quoi il est vain de vouloir échapper autrement
que par la fuite de l'objet désiré.
A quoi bon
vouloir aimer un être de fuite si, par essence, il se dérobe, il
disparaît lorsqu'il se donne et lorsqu'il a eu ce qu'il croyait
désirer?
Comprenons: la passion ne dure que par la chasse amoureuse et ses
difficultés. Il est donc vain de chercher le bonheur car les
entraves nécessaires à l'ardeur de la passion le plongent dans
"les inquiétudes mortelles de la défiance et de la
jalousie."
On pourrait
croire que le sentiment déclaré manifeste une certaine
constance, la fidélité; la constance semble une condition du
bonheur, d'un bonheur qui durerait. Mais, parce que cette
constance est faite par les obstacles, "Les obstacles ont
fait votre constance" (dit la Princesse de Clèves à
monsieur de Nemours), autant dire que si les obstacles
disparaissent, le désir, ayant obtenu son objet, aussitôt et
nécessairement l'inconstance (singulièrement celle de monsieur
de Nemours) lui succèdera.
Si la passion se nourrit d'espérance et d'inquiétude , pour
monsieur de Nemours, la possession fera disparaître cette
espérance et cette inquiétude: on a l'objet... plus rien à
espérer, et si on le possède, il n'y a pas de raison d'être
inquiet dans un première moment, puis on s'aperçoit qu'on ne
l'aime plus. L'amour est, pour tous les personnages du roman, et
pour l'auteur, la condition nécessaire et suffisante du
bonheur.
Or, la passion
amoureuse porte sur ce qui résiste et échappe: les êtres de
fuite dont le charme nous semble être promesse de bonheur. Enfin,
la vraie vie est ici et maintenant!
Ainsi la
Princesse se doit de choisir entre un bonheur impossible et son
repos. La force des choses l'oblige à reconnaître que le bonheur
est impossible: choisir l'illusion c'est choisir une désillusion
quel que soit le charme , de la présence à soi et à quelqu'un,
éprouvé dans une passion.
Il lui reste à choisir le repos par défaut: pour la Princesse de
Clèves, ce qui compte c'est d'assurer sa paix, dans la
répétition des actes de Charité, de l'église à la maison et
de la maison à l'église. La condition de l'homme l'amène à
vivre comme si elle était morte ; dans l'espérance d'un autre
monde: si la vraie est ailleurs, il importe de la mériter.
Madame de Clèves
a la vision de l'être humain suivante: c'est un pèlerin voué
à la souffrance qui marche vers un infini de charité qu'il porte
en lui.
|