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BAC FRANÇAIS par J. Llapasset

La poésie , spécificité

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"Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole: niant, d'un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l'artifice de leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n'avoir ouï jamais tel fragment ordinaire, en même temps que la réminiscence de l'objet nommé baigne dans une neuve atmosphère."
Mallarmé, Art poétique

Prenons un exemple, comparons:

Je reviens d'une programme et je dis: J'ai assisté à un coucher de soleil. C'est un simple reportage, universel, accessible à tous mais qui n'exprime rien de la profondeur de mes sentiments et de ma vision du coucher de soleil. On peut dire que c'est une simple communication dans laquelle les signes ne sont que des moyens et s'effacent dès qu'ils ont été compris.
En fait ils sont tournés entièrement vers autre chose qu'eux. Leur fonction accomplie, ils s'évanouissent.

Il n'en est pas de même pour ce vers de Baudelaire:
"Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige."
Il a fallu pour l'élaborer un sentiment et un travail. Le travail s'est efforcé d'ajuster une forme à une pluralité de significations.

- Il y a un rythme de ce vers. Le rythme est le retour à intervalles réguliers d'un temps fort. Il berce, endort les puissances de résistances pour mieux suggérer. 
"Le soleil / s'est noyé // dans son sang / qui se fige." (Nous avons quatre temps de trois syllabes; 3/3//3/3

- L'ensemble du vers n'est pas relié par une logique linéaire mais par une logique, pour ainsi dire rayonnante. Rien d'irrationnel dans ce vers; rien qui passe: dans les deux hémistiches il s'agit de la même réalité: le deuxième est comme un reflet ou un approfondissement du premier, ce qui nous amène à penser que le poète veut garder le même sentiment de manière à mieux le suggérer. Pour cela il joue avec les mots et leurs multiples significations. On devine des correspondances. Il semble que les mots ne passent pas, le temps non plus, comme dans un rêve qui se prolonge en gardant la force , la permanence du sentiment et l'ordre prescrit par la raison selon une logique qui rayonne qui se répand de proche en proche, par descorrespondances.

- Telle une oeuvre ciselée, le vers demeure présent car il n'a d'autre fin que lui même. Il ne s'épuise pas à communiquer un sens précis et définitif; par se richesse de signification, sa polysémie, il en appelle à notre sensibilité et à notre entendement faculté nécessaire pour sympathiser et pour admirer l'universelle analogie, les rapports entre le monde matériel et le monde spirituel.

- L'effort du poète a en effet porté sur une réconciliation du sensible et de l'intelligible, d'une vision naturelle et de sa profondeur: une vision spirituelle. Par des mots du langage, réunis dans le même vers; le soleil correspond au cœur et aux sentiments, à la vie, tandis que le sang qui se fige, figure l'anéantissement, le cœur qui se brise. Deux images, celles de la noyade et celle du sang en train de se figer, figurent la plongée dans le néant. Paradoxe, le sang source de vie devient symbole de la mort. Et le rouge marque la correspondance entre ce que l'on voit (la couleur du ciel) et ce que l'on devine, la mort.
Le " i " de fige précédé de nombreuses sifflantes "s" nous fait entendre la souffrance, son caractère intense. Ainsi, les mots témoignent de la correspondance entre le tableau et le sentiment éprouvé par Baudelaire.

- Le poète a créé une oeuvre qui a un effet esthétique.
Maintenant il faut oublier tout ce qui vient d'être dit pour admirer la beauté, ce triomphe d'un chef d'œuvre de la raison, le triomphe de la combinaison des termes, triomphe du langage. C'est un effet esthétique car l'œuvre est belle, profonde: le sensible et l'intelligible sont ainsi sauvés par le poète dans la mesure où le sensible reçoit la profondeur et l'intelligible, l'existence.

Certes, cela prend la force d'un rêve entré dans l'éternité, mais cela reste un rêve. Voilà pourquoi ne nous étonnons pas que la beauté s'accompagne de tristesse car en se révélant elle nous renvoie à notre condition: le jour de l'anéantissement, nous la perdrons de vue.

Nous apercevons maintenant que le poète est maître du langage comme un dieu créateur; que dans un jeu divin, il utilise toute ses ressources (polysémie...) pour chanter "Les transports de l'esprit et des sens" et pour nous entraîner dans cette folle valse.

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