Le recueil
comporte six parties. Première
partie. Spleen et idéal.
Si la première partie tient une place démesurée par rapport
aux autres, c'est que, aux yeux de Baudelaire, il importe que le
diagnostic du mal dont il souffre soit conduit jusqu'à la pleine
clarté d'une parfaite lucidité. Il ne pourra espérer se sauver,
pense-t-il, que s'il diagnostique et comprend le mal dont il
souffre. C'est l'analyse qui lui permettra de faire exister en
pleine clarté le drame vécu et, dans une reprise poétique de ce
qui se découvre, lui permettra de surmonter ce mal.
Cette première partie démesurée, comportant 85 poèmes sur 126,
est donc la propédeutique nécessaire à l'entreprise du poète.
Cela doit nous permettre de comprendre les échecs et les
réussites des tentatives qui suivent; chaque partie représentant
une tentative et un échec. Deuxième
partie. Les paradis artificiels Troisième
partie. La ville - Le vin Quatrième
partie. Les fleurs du mal Cinquième
partie. La
révolte est la conséquence des échecs subis. A
l'impuissance succède la révolte, les injures, les anathèmes ou
condamnations sans appels. Dans
la sixième partie le poète, comme une sentinelle qui
veille, se tient au plus près de la mort, rêvant la fin de ses
souffrances et espérant une éternité de béatitude ou tout au
moins la fin de la contradiction entre le spleen et l'idéal,
contradiction qui le déchire et le torture. Le
mal dont souffre Baudelaire.
Le poète souffre car il se sent appelé dans des directions
contradictoires entre lesquelles il ne peut pas choisir car il
est, dans sa chair et dans son esprit, cette contradiction: ce
déchirement il ne peut le fuir car cela constitue son être. Il
est cloué à ce moi qui souffre et qui l'accompagne partout, qui
le suit dans ses voyages et gâche d'amertume jusqu'à leur
souvenir. Ainsi tout voyage est amer dans le souvenir et dans les
expériences vécues.
Ces deux appels contradictoires c'est ce qu'il appelle spleen et
idéal. Le
spleen désigne ce qui le fait souffrir, ce qui l'appesantit
en le tirant vers le bas, à la limite ce qui l'étouffe et l'oppresse.
Le spleen a des symptômes terribles: accablement, découragement,
sentiment d'impuissance, désespoir. C'est une maladie mortelle de
l'âme.
En résumé le spleen est le siège des humeurs noires, la marque
d'une antique malédiction lancée par Dieu sur l'homme à cause
du péché originel. L'idéal
n'est qu'un éclair qui luit et qui fuit. Il est trop bref pour
s'installer, il est tellement léger. Il s'apparente au rêve et
sans le secours du langage, il n'existerait pas. La forme le porte
à la lumière dans toute sa profondeur. Ainsi il se figure dans
le rêve dans un anti-monde de fidélité, de luxe et de volupté.
L'idéal n'existe vraiment que par la magie de l'écriture
poétique, de la conscience esthétique.
L'idéal et ses fulgurations dans l'instant fait ressortir le
malheur et le rend insupportable. Comment
échapper à cette tension?
La difficulté vient de ce que le spleen a pour lui la durée de
l'épaisse nature alors que l'idéal n'est que l'éclair d'un
instant. Dès lors il est impossible de remplacer le spleen par
l'idéal. Le spleen se présente alors comme la réalité
quotidienne tandis que l'idéal prend l'aspect d'un rêve, d'une
échappée radieuse que le poème peut sauver. Comment
échapper au spleen si le spleen n'est finalement que le spectre
du temps qui hante le vivant qui lui rappelle sa mort prochaine
tel le ver qui ronge sa proie vivante.
Pour Baudelaire c'est la foi qui sauve: l'objet de cette foi
c'est le poème fruit de la conscience esthétique, l'acte de foi
est la confiance en la réalité de l'objet créé. On
ne saurait réduire le rapport du poète et du langage au rapport
d'un inventeur et d'un instrument. Le poème est bien plus qu'un instrument,
il a sa fin en soi. Immense est la confiance de Baudelaire dans
le langage: au pouvoir de faire être une réalité, pouvoir
quasi-magique: ce qui est bien dit existe en soi. Grâce à ce
pouvoir le poète peut surmonter un instant, l'instant d'un
poème, le mal du spleen. La merveille du langage c'est de
permettre d'apaiser cette soif que rien ne peut apaiser.
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