On peut lire dans
l'épigraphe (ce qui est écrit au dessus du texte) du Livre
premier des Confessions de Rousseau: "Intus, et in cute".
que l'on traduit dans le meilleur des cas par "Dans ta
vie intérieure et dans ta chair". C'est le centre d'un
vers latin : "Ego te intus et in cute novi": je te
connais dans ta subjectivité et dans ta chair. |
Rousseau, dans
l'entreprise de présenter une autobiographie, se trouve en butte
à deux problèmes incontournables auxquels se heurte tout effort
pour narrer soi-même sa propre vie.
Un des deux
problèmes tient au devenir, au temps: l'homme de 60 ans n'est
plus ce qu'il a été à 15 ou 20 ans. Il ne connaît plus les
divers "moi" qu'il a été. Il risque de se
reconstruire artificiellement à travers ce qu'il est devenu, ce
à quoi il peut accéder de soi, et surtout à travers sa vanité.
Privé d'une information essentielle, la vérité, comment
l'autobiographie pourrait-elle être autre chose qu'un roman? Rousseau
pourtant échappe à cette difficulté qui se résume à un
défaut de la mémoire qui vise le passé à travers ce que le moi
est devenu, qui vise donc ce qu'il n'est plus, une suite de
"moi", noyés dans le passé, le tombeau de ce qui n'est
plus. Rousseau
résout le problème de l'expression de soi, en se plongeant dans
la solitude. Il se retrouve dans la solitude,dans le sentiment
dont il ne peut douter. Cela lui donne de quoi compléter le
récit par l'expression de soi. Un récit dans lequel le moi ne
serait pas exprimé serait une suite d'anecdotes, mais
certainement pas une autobiographie de soi même par soi
même.
En se retirant du monde, de l'in-sincérité et du paraître, en
s'éloignant du regard des autres, il se trouve réduit à lui
même: il lui reste la mémoire du cœur et celle du sentiment,
mémoire toujours accompagnée de la certitude et donc de la
vérité: c'est comme s'il ne s'était jamais quitté. C'est donc
bien le récit de sa vie qu'il peut dérouler, sans que
l'expression de soi lui pose un problème puisqu'il se retrouve
toujours le même dans la solitude et puisque ce qu'il éprouve ne
peut le tromper: le moi se donne immédiatement sous le regard de
cet instinct divin qu'est la conscience morale. Dès lors, il lui
suffit de vouloir être sincère pour l'être. Le
deuxième problème, celui de la sincérité est donc résolu,
puisque l'auteur ne peut nier le jugement de sa conscience, cet
instinct divin qui le place sous le regard de Dieu: un Dieu qui
sonde les reins et le cœurs et devant lequel on ne peut mentir.
Dans ces conditions de solitude, sous le regard divin, la mauvaise
foi ne peut exister. L'art
sera alors une résurgence toujours possible de ce qui ne l'a
jamais quitté, le soi, qui l'accompagne comme fondement de tout
ce qu'il connaît. Le passé peut être re-trouvé. Ce
qu'il est c'est ce qu'il aime en lui: précisément cette
sincérité, cette humilité qui est vérité et dont, à juste
titre, il peut tirer son orgueil. Un orgueil fondé sur
l'humilité! Voilà qui peut nourrir la dialectique (ici =
discours pour réfuter) la plus rigoureuse et déjouer la
malveillance de ceux qui mèneront des assauts contre lui en
essayant de réduire son oeuvre de vérité et de sincérité à
ce qu'elle n'est pas. Brunetière affirmera: "Les Confessions
sont un "roman" de ce qu'il a voulu qu'on le
crût." Mais a-t-il bien lu? Ne
jamais oublier que chez Rousseau la plus belle des envolées
oratoires est toujours appuyée par la raison, le calcul qui lui
succède.
IL est possible
d'utiliser cette page à votre oral si une question, ou
votre entretien vous oriente vers les difficultés de
l'autobiographie. Dans votre réponse vous ne vous bornez
pas à souligner les deux problèmes (vérité et
sincérité) mais vous évoquez aussi les résolutions que
propose Rousseau. |
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