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BAC FRANÇAIS par J. Llapasset

L'argumentation directe

Argumentation directe: Montaigne, Les Essais, Livre II, chapitre V.

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C'est une dangereuse invention que celle des géhennes, et semble que ce soit plutôt un essai de patience que de vérité. Et celui qui les peut souffrir, cache la vérité, et celui qui ne les peut souffrir. Car pourquoi la douleur me fera elle plutôt confesser ce qui en est, qu'elle ne me forcera de dire ce qui n'est pas ? Et au rebours, si celui qui n'a pas fait ce de quoi on l'accuse, est assez patient pour supporter ces tourments, pourquoi ne le sera celui qui l'a fait, un si beau guerdon, que de la vie, lui étant proposé ? Je pense que le fondement de cette invention, vient de la considération de l'effort de la conscience. Car au coupable il semble qu'elle aide à la torture pour lui faire confesser sa faute, et qu'elle l'affaiblisse : et de l'autre part qu'elle fortifie l'innocent contre la torture. Pour dire vrai, c'est un moyen plein d'incertitude et de danger.

Que ne dirait on, que ne ferait on pour fuir à si griefves douleurs ?

Etiam innocentes cogit mentiri dolor.

D'où il advient, que celui que le juge a géhenné pour ne le faire mourir innocent, il le fasse mourir et innocent et géhenné. Mille et mille en ont chargé leur teste ...

IL faut savoir qu'à l'époque où vivait Montaigne, pour peu qu'on vous soupçonne ou qu'on vous dénonce, le juge avait le mauvais goût de vous infliger la petite question (première torture) pour savoir si vous étiez coupable et, pensait-il, éviter de massacrer un innocent. Si vous confessiez un forfait, c'était alors la grande question pour vous punir et ... la mort. Dans tous les cas votre intérêt si vous étiez coupable était de ne pas avouer, et de vous taire, si vous étiez innocent. Les géhennes n'étaient donc pas un instrument de vérité.

L'intérêt de ce texte est grand: il nous permet d'étudier l'argumentation directe qui est la tonalité principale du texte et aussi les effets provoqués chez le lecteur, ainsi que l'art de les provoquer. Cela nous permet de satisfaire aux instructions officielles: étude de l'argumentation et des effets.
 

Qui parle? Montaigne.
A qui parle-t-il? A soi, dans sa pensée qui est un dialogue délibératif intérieur, "je", "me", et à travers lui Montaigne parle à tous ceux qui veulent bien expérimenter avec lui, épouser sa démarche argumentative et délibérative, sans pour cela renoncer à leur liberté de jugement, à l'exercice de leur propre balance intérieure?

La thèse se trouve dans la première phrase: C'est une dangereuse invention ...
- Pourquoi une invention? La torture est ce que l'homme ajoute à la nature, un instrument inventé pour obtenir un résultat en fonction d'un besoin de vérité avant le prononcer d'un jugement. On espère que les atroces douleurs de la torture arracheront la vérité à celui que l'on soupçonne. Justice pourra alors être rendue.
- Pourquoi une invention dangereuse?Parce que, sous la torture, le patient ne dit pas nécessairement la vérité. La torture peut donc avoir des conséquences autres qu'une confession sincère: celui qui ne peut la supporter avouera tout ce qu'on voudra pour la faire cesser. Le danger c'est qu'on risque ainsi de donner la mort à un innocent.
Pourquoi un essai? Perce qu'on considère la torture comme une épreuve grâce à laquelle la vérité apparaîtrait. Par l'essai, on effectue une opération grâce à laquelle on s'assure de quelque chose.
Remarquons que la thèse de Montaigne se déploie selon une affirmation certaine et une autre probable. Dans la première partie de la phrase, en effet, l'affirmation est présentée comme certaine, universelle dans l'espace comme dans le temps, valable encore de nos jours. ("
c'est" = présent)

La deuxième partie de la phrase, présente une autre affirmation comme probable: "semble" parce que ce n'est pas vrai dans tous les cas, on ne peut dire que c'est une certitude: ce peut être parfois une épreuve de vérité si le coupable confesse son forfait. Mais sans qu'on puisse savoir qu'il dit effectivement la vérité. On peut croire que c'est un innocent qui ne supporte pas la torture.

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