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Nicolas Gogol 
Nicolas Gogol  

Par Lara Moussine Pouchkine,  professeur, agrégée de Russe

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-Il existe deux sortes d’écrivains, ceux qui ont une vie tranquille et bourgeoise et tout est en leur œuvre et ceux dont la personnalité ressort très fort dans leurs œuvres au point qu’on ne peut absolument pas dissocier la personnalité de l’œuvre.

Nicolas Gogol est né en Ukraine. Il est de ceux dont la personnalité est tout entière dans l'œuvre.
Parlons d’abord de l’homme avant de dire ce que son œuvre signifie. Il est né en 1809 donc tout à fait au début du XIXème siècle: contrairement à la littérature française, la littérature russe se concentre au XIXème siècle avec en particulier l’explosion du roman. Pratiquement tous les auteurs russes se connaissent. Gogol fut un grand ami de Pouchkine qui lui donna d’ailleurs le sujet de son plus grand roman, Les "âmes mortes". C’est un ukrainien, de petite noblesse né dans une propriété, avec une enfance extérieurement heureuse, malgré le décès du père: il avait huit sœurs, c’était le petit dernier entouré des nounous, des nurses des gouvernantes, donc de femmes. Cela explique ses problèmes de rapport avec les femmes au point que dans ses œuvres il n’y aura jamais de portrait d’une vraie femme ni de femmes connues dans sa vie. On le considère comme le petit génie, le petit adoré: il est persuadé d’être un génie et il va le devenir.

C’est stupéfiant, car cela va le conforter dans toutes ses névroses et cela se retrouvera d’ailleurs dans toutes ses œuvres.

A l’âge de 20 ans il part pour Saint Pétersbourg où il écrit son premier livre: " Les veillées dans un hameau près de Dikanka ", un lieu de tourisme de toute beauté. Ce livre, il l’a écrit à la fois parce qu’il se veut un génie et à cause de l’intérêt naissant de la société russe pour les contes populaires et le peuple. Le peuple était pratiquement composé de serfs, analphabètes certes mais pas incultes car il y avait une tradition orale très riche. (Les soirées, dans ces pays où il fait très froid étaient très longues, il y avait souvent des conteurs professionnels). La mémoire russe du peuple gardait des milliers de vers qui remontaient loin dans le temps. La classe intellectuelle, la noblesse commence à s’intéresser à toutes ces histoires. Gogol arrive à un moment où l’intérêt pour tout cela est au plus haut; Dans son premier livre il reprend les contes populaires qu’il a entendu dans son enfance racontés de son entourage et par les paysans à qui il rendait visite: C’est un recueil de nouvelles où règne déjà le point fort de la littérature gogolienne, le fantastique. Il y a dans ces contes de beaux paysans qui vont rencontrer des sorcières, des sorciers ou des diables qui voudront acheter leur âme: bien sûr ils vont vaincre touts ces obstacles au point que dans une scène on voit un héros chevauchant un sorcier pour aller voir l’impératrice Catherine à Saint Pétersbourg.

Cette œuvre est donc à la fois pétrie de fantastique,
de romantisme et d’humour.

   Ce sont des nouvelles qui se lisent très facilement, pleines de drôleries, de cette richesse populaire, de sagesse aussi, de morale avec des clins d’œil, et des héros toujours vainqueurs. Ce livre a un succès énorme et Gogol, à 21 ans est devenu le génie qu’il croit être.
   C’est dangereux sur le plan psychologique et psychanalytique parce qu’il y aura entre le monde extérieur et son moi qui est quelque part névrosé, une distance qui ne va pas disparaître puisque tout ce qu’il croit va se réaliser. Il est reçu dans les salons littéraires, fêté.

  • Parlons donc maintenant de ce qu’est Nicolas Gogol à 21 ans, 22 ans.

C’est un jeune homme maigre, le visage en lame de couteau, l’air toujours un petit peu triste, sûr de lui. Dans sa vie cet homme ne possèdera jamais rien : par exemple, on a tous envie un jour ou l’autre d’avoir une maison à soi, c’est quelque chose d’important, et bien Gogol ne possèdera jamais de maison: il sera fête adulé par l’aristocratie russe de Saint-Pétersbourg: on se bat pour recevoir Gogol dans les grands hôtels particuliers, les palais, où il y a toujours l’appartement de Gogol. Il "claque" tout l’argent que lui rapportent ses livres et quand il en a besoin il en demande à ses admirateurs dont le tsar, tout naturellement. Cela le conforte dans son moi un peu trouble, complexe, puisque le monde ne le rejette pas, ne lui dit jamais: "tu vas trop loin".

  • Son œuvre majeure sera les âmes mortes: il s’agit d’une histoire d’escroquerie parue dans un journal que lui amène son ami Pouchkine. Le mot âme n’a ici aucun sens spirituel, c’est un terme administratif qui signifie les serfs; Le héros de ce livre va procéder à une escroquerie:

-tous les 5 ans l’empire russe procédait à un recensement de tous les serfs que chaque propriétaire possédait. Au bout de la 4ème année il y avait déjà des changements (morts et naissances). Administrativement les gens qui étaient morts étaient considérés comme vivants. Le héros va sillonner la Russie profonde pour racheter à leurs propriétaires leurs âmes mortes. A la fin il se trouve à la tête d’une liste de gens qui officiellement sont vivants, il les hypothèquera à la banque touchera ainsi une somme importante… L’intérêt de l’œuvre c’est la galerie de portraits, de personnages de la Russie profonde qui sont bien typés: tous font preuve de lâcheté dans ce marché qui est malhonnête. Ils ne sont pas beaux à voir, y compris le héros lui-même: mais lui au moins il le sait.

C’est de là que va provenir le drame intérieur de Gogol: lorsqu’il a fini d’écrire ce livre, il le donne à son ami Pouchkine en lui disant: Qu’est-ce que tu va rire! Et quand Pouchkine lui ramène son livret lui dit. Je l’ai lu, Nicolas, ton livre: je n’ai pas ri, j’ai pleuré, Dieu que notre Russie est triste. Gogol ne comprend pas. C’est le drame d’un écrivain qui souhaite ardemment écrire dans le style humoristique pour faire rire mais dont le génie s’avère satirique et critique.

Son premier livre était drôle, c’est sûr. Mais ensuite, il ne peut que faire une satire absolument impitoyable de la société russe. De cela Gogol n’en veut pas, il est déchiré (il y une sorte de dédoublement de la personnalité qui commence) entre ce qu’il écrit et qui ne vient pas de lui finalement: il adore son pays, il adore le tsar, il est profondément croyant: pas question pour lui de critiquer quoi que ce soit. Mais désormais chaque fois qu’il écrit, on se tord de rire et en même on pleure de tristesse…

Le succès des Âmes mortes fut phénoménal, mais Gogol était désespéré par les commentaires sur ce livre. D’ailleurs avant de mourir il veut écrire une suite aux Âmes mortes ou Tchitchikov ayant compris ses erreurs va aller de nouveau au fin fond de la Russie pour ne rencontrer que des personnes parfaites, gluantes de sucre… Ce livre est tellement mauvais que Gogol lui-même s’en rend compte, et n’osant le montrer à personne, dans un moment de désespoir, le jette au feu. Toute sa vie il souffrira du déchirement qui est en lui. Par exemple la pièce de théâtre Le Révisor s’appuie aussi sur un malentendu: dans une province où l’on attend un inspecteur (Le Révisor). Tout le monde a une peur bleue parce que tout le monde a touché des "pots de vin". Arrive là tout à fait par hasard un jeune homme et tout le monde est à plat ventre devant lui, malentendu très drôle, avec des personnages abominables prêts à tout pour surnager. Gogol va s’aigrir beaucoup: sa gloire ne le satisfait pas, l’incompréhension des lecteurs le désespère. Il se renferme et va écrire des lettres où il ne jure que par le tsar, le conservatisme et la religiosité: parmi ses amis, ses admirateurs il y a un profond malaise. Souffrant de dépression nerveuse il se laisse mourir de faim chez un de ses amis à 44ans.

  • Les récits de Saint-Pétersbourg ont été écrits par Gogol dans le but de refaire pour la Russie ce qu’il avait si bien réussi avec son premier livre, les Veillées d’Ukraine, mais les nouvelles sont bien différentes.

Certaines pour la littérature russe vont être majeures et vont inspirer les nouvelles générations d’écrivains.

  • Le journal d’un fou: le dérapage dans la folie s’effectue de façon totalement insidieuse: style extraordinairement dense, comme des pierres précieuses lançant des éclats. Il faut être quelque part déséquilibré pour écrire une œuvre pareille.

-Le nez considéré dans la littérature mondiale comme la première œuvre fantastique écrite, ce nez qui se promène tout seul en redingote, c’est stupéfiant: du fantastique mêlé de folie! Une étude psychologique du texte montre un problème de castration. Gogol, loin d’avoir résolu ses problèmes s’y enfonce.

  • Le manteau. Considéré comme l’œuvre majeure de ce recueil. Dostoïevski a dit : nous sommes tous sortis du manteau de Gogol, c’est à dire qu’il nous a tous inspiré. L’intérêt c’est que pour la première fois on met en scène un héros aussi misérable: "des petites gens". Désormais les écrivains russes ne s’intéresseront qu’à eux : la littérature russe cherchera comment les rendre plus heureux soit par le progrès social, soit par la spiritualité. Il y a toujours dans l’âme russe une sorte de sympathie et d’élan envers les petits, les pauvres et les paumés. Toujours! C’est spécifiquement slave et russe.

Toutes les autre nouvelles ont moins d’importance sur le plan littéraire. Gogol a voulu refaire ce qu’il avait fait avec les "Veillées du hameau". 

Il est donc l’inventeur du fantastique, un génie de la satire, mais en même temps il éprouve une compassion sans borne envers les petites gens: on a même pitié du fou. C’est un novateur dans la littérature russe. C’est lui qui aura donné les sujets de la méditation et d’inspiration sur la condition russe aux autres écrivains.

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