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Victor HUGO (1802 - 1885)

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SOUTENIR l'ÉMOTION par l'invention, par la personnification.

Victor Hugo nous tient en haleine avec des idées, des images, des formules dont l'originalité, la force ou l'incongruité nous surprennent, nous frappent ou nous amusent. 

Nous ne reviendrons pas sur les citations des chapitres précédents, les effets y abondent, vous saurez les apprécier, et nous nous bornerons à donner ici, avec de nouveaux exemples, des pistes d'observation sur le style.

ANTITHESES, PARADOXES, OPPOSITIONS de mots, d'images, de situations ou d'idées:

Plusieurs poèmes font choc en liant la misère des faibles et l'opulence des puissants:

"Regorgez quand la faim tient le peuple en sa serre,
Et faites, au-dessus de l'immense misère,
Un immense festin."
(III 9 III)

(notez la mise en oeuvre des oppositions par deux images fortes et une répétition)

En VI 5. Tandis que le bal grotesque des vainqueurs bat son plein, les condamnés politiques endurent leur martyre. Ces deux images antithétiques sont effacées à leur tour par la vision radieuse de Jersey.

En III 9, l'horreur naît de la double absurdité insoutenable:
"Une petite fille à figure de vieille me dit: "j'ai dix-huit ans!'

En IV 7, un chiasme (croisement de termes: vb/cclieu-cclieu/vb) met en relief la duplicité d'un tartufe:
"Il ripaille à huis clos, en public, il sermonne ".

En Nox I, la reprise de termes identifie odieusement fête et meurtre:
"Du vin plein les bidons! des morts plein les civières!"

En I 12, l'alternance répétitive nous enferme dans un désert funèbre:
"La lune, chaque nuit, se lève en un suaire,
Le soleil chaque soir se couche dans du sang."

En Il 7 VIII, un vers aux faux airs de maxime énonce une opinion inhabituelle:
"Puisque l'honneur décroît pendant que César monte."

Autre paradoxe, bien frappé sur deux hémistiches parallèles en VI 3:
"Ils ont le plus d'honneur, ayant le plus de peine."

En IV 6, le double paradoxe lié par un chiasme est cinglant:
"Méprisant votre estime, estimer votre haine." (IV 6)

En V 11, les opposés sont aux deux extrémités:
"Les nains sapant sans bruit l'ouvrage des géants."

En IV 12, c'est une répétition en crescendo qui amène l'étonnante sentence finale:
"J'admire, ô Vérité, plus que toute auréole,
Plus que le nimbe ardent des saints en oraison,
Plus que les trônes d'or devant qui tout s'efface,
L'ombre que font sur ta face
Les barreaux d'une prison."

C. FAMILIARITES, PROSAÏSMES ou INCONGRUITES.

Pour malmener Napoléon III et son équipe, le ton de la plaisanterie relaie parfois les grincements de dents:

  • En VI 5,"Tout va. Les sous-coquins aident le drôle en chef."
    En V 10 Il "Si nous les laissons faire on aura dans vingt ans...
                    Une France aux yeux ronds, aux regards clignotants..."

On se moque gentiment des bien-pensants en-pensants et autres personnages d'église:

  • En I 3 "La douairière aux yeux gris s'ébat sur leur Journal,
                Comme sur les marais la grue et la bécasse."

  • et dans le même poème:
    "Ce pauvre vieux bon Dieu... ...ne sait où se fourrer..."

En V 2, une chanson raconte une partie de cartes entre Dieu et le diable. Ils ont pour atouts le futur pape et Louis-Napoléon:

  • "Un pauvre abbé bien mince! Un méchant petit prince..."

Rappelons aussi l'énorme vocabulaire d'insultes colorées rencontré dans un chapitre précédent...

C. TROUVAILLES à la Victor Hugo, géniales, irrésistibles. En voici quelques unes:

En I 2,

"Les rois lâchaient sur toi le tigre et la panthère,
Et toi tu lâchais les lions."

En I 12,

"Peuples! le clairon sonne aux quatre coins du ciel."

En VI 6,
à Ceux qui Dorment:

"Prends ta fourche, prends ton marteau!
Arrache le gong de ta porte,
Emplis de pierres ton manteau!"

En IV 1O,

"Le rayon, flèche d'or, perce l'âpre forêt."

En V 10 III,

"...le Dieu vivant qui peut rouler
Les cieux comme une toile!"

En I 5,

"Et mon coeur orageux dans ma poitrine gronde
Comme le chêne au vent dans la forêt profonde!"

Mais sur ce chapitre, chacun a ses coups de coeur!

La PERSONNIFICATION. 

Une vie mystérieuse parcourt les pages, comme si un autre monde agissait autour du nôtre: présence divine, présence de la Nature, mais aussi présence de concepts qui s'animent en 

ALLEGORIES.

En I 5,

"La Marseillaise, archange aux chants aériens,
Murmurait dans les cieux: Aux armes, citoyens!"

A la fin du même poème:

"Le Jour parut. La nuit, complice des bandits,
Prit la fuite, et, traînant à la hâte ses voiles,
Dans les plis de sa robe emporta les étoiles
Et les mille soleils dans l'ombre étincelant,
Comme les sequins d'or qu'emporte en s'en allant
Une fille aux baisers du crime habituée,
Qui se rhabille après s'être prostituée."

En Nox I,

"La guillotine au noir panier...
 A ressaisi sa hache..."

En IV 13, dernière strophe:

"Pendant que dans l'auberge ils trinquent à grand bruit,
Dehors, par un chemin qui se perd dans la nuit,
Hâtant son lourd cheval dont le pas se rapproche,
Muet, pensif, avec des ordres dans sa poche,
Sous ce ciel noir qui doit redevenir ciel bleu,
Arrive l'avenir, le gendarme de Dieu."

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