Des complications psychanalytiques
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1)
De quoi s'agit-il?
2) Une fille impossible
3) Sur la piste de
la haine
4) Des complications
psychanalytiques
5) Championne de la vérité
6) Vive la vérité?
7) L'oncle Egisthe!
8) et...
tous les autres
9) Electre et les Anciens
10) Clins d'oeil
12) Symbolisme-
manifestation du divin
13) Ce qu'on dit d'elle/Ce qu'elle dit
14) Qui est Electre?
15) La ménagère de la vérité
16) Une
femme à histoires
L'énorme haine qui meut
Electre tout au long de la pièce serait amplement justifiée par les
torts d'Egisthe et de Clytemnestre, mais on ne les connaît vraiment qu'à
la fin. Cette haine préexistante doit donc s'expliquer par la personnalité
de la jeune fille. Nous savons ce qu'on disait d'elle avant son entrée en
scène: une fille impossible. Maintenant observons-la, et écoutons les
remarques de ceux qui vivent avec elle, sa mère en particulier.
Elle
est absence c'est à dire refus:
des autres, son esprit est ailleurs
"Electre n'est jamais plus absente que du lieu où elle est.
de la joie, on n'a "jamais vu sourire
Electre"
de la féminité, elle n'est "pas
inscrite à l'association des femmes", ni dans leur "confrérie",
elle refuse de leur ressembler ou d'être leur complice.
de l'amour, elle prend peur devant l'inconnu
jeune et beau qu'Agathe veut substituer à son fiancé l'humble jardinier,
et "se débattra jusqu'à la mort". Elle présente comme un défi
le "visage" de "la chasteté", alors que, d'après sa
mère c'est une "fille que rongent les désirs". L'attente (du père
à la guerre, puis du frère au loin) "bonheur pour vierges"
suffit à remplir son existence. En fait dans son ignorance, elle ne croit
pas à l'amour: à l'aveu brûlant de sa mère "j'aime!", elle répond
"tu n'aimes pas tu n'as jamais aimé".
Electre est absente de la
vie. Elle est absente parce qu'elle ne vit que d'absences, seuls
semble-t-il le passé et le futur l'intéressent. Fuit-elle le présent?
Elle
s'est consacrée au souvenir de son père,
elle a choisi d'habiter dans la chambre qui donne sur son tombeau et elle
le visite chaque jour. Dans cette fidélité, elle met une obstination qui
est:
-
insultante,
"ton deuil est une offense aux vivants"
irréaliste, il faudrait
"rendre la vie à un mort", "j'attends le passé, je
l'attends encore"
choquante, "je suis
la veuve de mon père", elle le pleure "non comme une fille
mais comme une épouse".
Elle
porte en effet à Agamemnon un attachement passionné:
"dix ans j'ai attendu mon père". A son retour elle l'a guetté
pour être la première à l'embrasser, dans ce baiser (le dernier) elle a
"pris la mesure de son amour" et la "force" qui la
soutient encore. Depuis huit ans elle recueille tout ce qui peut la
renseigner sur lui. Le mépris de son mari que crie Clytemnestre lui est
insupportable "O mon père pardon!" et elle est prête à
oublier le crime d'Egisthe s'il punit cette injure "tuez-la Egisthe
et je vous pardonne".
Ses
sentiments filiaux vont
exclusivement à son père "j'aime tout ce qui dans ma naissance
revient à mon père" et bannissent totalement la mère "depuis
longtemps je ne regarde plus mon miroir que pour m'assurer de cette
chance: "je ne te ressemble en rien", "je ne suis pas ta
petite Electre", "je ne peux supporter d'elle qu'elle m'ait mise
au monde. c'est là ma honte". Cet aveu rejoint et explique le refus
de la féminité que nous notions, car Electre dit aussi "sa maternité
n'est qu'une complicité", "tu as voulu que je sois femme pour
me mettre dans ton camp". De son côté le mendiant observe à propos
de la querelle sur la chute du bébé Oreste que Clytemnestre, qui est un
"ventre", privilégie les filles, les ventres, et a dû retenir
Electre au détriment du petit garçon, qui n'est qu'une
"souche"
Le résultat de
ce refus de la mère, ou plutôt de Clytemnestre comme mère,
c'est "cette haine qui gonfle et qui tue", "je déteste ma
mère", "ne parle pas d'elle".
Leurs relations sont très amères, ce ne sont que:
-
"perfidies
ou insinuations": Clytemnestre "a déjà
conduit une fille au supplice", Electre porte le deuil de
son père "à défaut d'autres".
contradiction:
"Non, aujourd'hui, j'y suis!"
mépris,
"disparais"
comédie odieuse, celle
de son mariage avec Oreste, que sa mère n'a pas encore identifié.
(notons qu'elle en profite pour rejeter l'héritage génétique
-venant de sa mère- en parlant de leur ressemblance
de frère et soeur, comme "de celle qui ne vient qu'aux
vieux époux")
rancune "tu m'as tout volé dans la vie"
(que de choses à dire sur ce cri d'une jeune fille mal dans sa peau
face à une mère comblée!)
Electre
veut entraîner Oreste dans cette suppression de la mère "imaginons
que nous ayons été enfantés sans mère", "nous sommes là à
nous créer, à nous libérer d'elle." A Clytemnestre intriguée par
Oreste elle crie "il n'a jamais eu de mère", "jamais homme
n'a été moins à toi"
Elle se substitue à sa mère
"prends de moi ta vie Oreste et non de ta mère". En le
caressant elle rêve "je t'appelle à la vie, je te forme mon frère",
et elle s'attribue les sentiments d'une mère "voilà bien
l'ingratitude des fils!". Jalouse elle qualifie d' "ignoble
coquetterie maternelle" le moment d'attendrissement entre
Clytemnestre et son fils qu'elle interrompt cruellement "la minute
est écoulée".
Cependant
elle est liée à la mère:
Elle a "pitié d'elle" en la voyant vieillir, elle avoue
"notre mère que j'aime parce qu'elle est si belle! notre mère dont
j'admire la voix, le regard" et pourtant " notre mère que je
hais!" C'est au titre de fille qu'elle s'arroge les droits d'un
"juge". Est-ce de la nostalgie qui s'exprime à propos de
"celle qui porte ce nom de bonheur, Clytemnestre", ou de la dérision?
Electre en tout cas aurait besoin d'une mère. Elle a manqué de baisers
dans son enfance prétendent les Euménides. Le jardinier affirme
"elle se cherche une mère, j'étais le seul homme qui pouvait être
une sorte de mère". Elle adopte la femme Narsès, une pauvre vieille
mendiante, parce qu'elle admirait son père, accepte ses caresses et se
fait appeler "ma fille" par elle.
Cette
suppression mentale de sa mère naturelle (à qui elle
vole même la maternité de son fils) au bénéfice d'un père dont elle
se dit "la veuve" est très évidemment le double féminin du
noeud oedipien (mais Oedipe, quand, dans les faits, il tue son père puis
épouse sa mère, ignore qu'ils sont ses parents). En revanche, il n'y a
pas lieu, je pense, de parler d'attitude incestueuse à l'égard d'Oreste,
les paroles et les gestes d'Electre, si excessifs ou ambigus qu'ils
paraissent, n'expriment qu'une affection fraternelle exacerbée par
l'attente.
Quand au refus de son statut de femme,
on peut y voir le repli sur soi d'une adolescente craintive, ou la conséquence
de sa répulsion de tout ce qu'est sa mère, ou les deux.
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