1 -
L'existence désarticulée:
Si les
personnages de Beckett parlent beaucoup c'est ici par une
succession d'interrogations, d'exclamations, de constatations,
sans suite désarticulés, comme pour meubler une existence
vide, peuplée d'un seul désir, une existence qui ne leur
appartient pas mais qu'ils habitent provisoirement. Une
existence qui ne se soutient pas et qui n'est plus soutenue que
par une vapeur d'amitié.
2 -
La désarticulation du sujet:
Cette désarticulation
du sujet n'est possible que parce que l'unité de ce qui se fuit
ou se combat manque: il y a un vide à la place du sujet ce qui
permet de distinguer, en deux personnages, les deux
aspects d'une subjectivité, le raisonnable et le sensible:
leur coexistence n'est plus que spatiale sur la scène qui
distingue tragiquement le raisonnable de l'un et la sensibilité
de l'autre: c'est donc une coexistence de l'altérité d'une
conscience qui s'élève à l'absolu et s'enfonce dans la vie,
discorde qui est l'essence de toute vie.
3-
Il n'y a rien à faire!
Proust,
dans A la Recherche du temps perdu,
à quelques pages d'intervalles remarque que l'individu est
tout... et qu'il n'est rien! Un centre où tout est expérimenté,
mais un centre aveugle (cf: Schopenhauer, le moi est un point
noir) et aveuglé par le désir: toute existence est à la fois
donnée et retirée: il n'y a donc rien à faire.
4-
Sur l'amitié: une amitié réduite à l'amitié avec
soi-même sur fond de discorde!
L'amitié
n'est possible que dans l'intériorité d'un homme et encore
amitié d'une diversité du raisonnable et du sensible que le
malheur réconcilie tant bien que mal:
-
amitié,
donc, malgré l'incompréhension, car:
- la coexistence infernale ne peut être que "oubliée"
provisoirement par la satisfaction des appétits (page 19)
-
amitié
malgré
- la tentation d'une ruineuse et douloureuse dialectique du
maître et de l'esclave, caricaturée par l'intériorité
représentée spatialement par la division: Pozzo/Lucky
- l'espoir qui maudit le présent: l'impossible espoir d'échapper
au désir, à l'attente de Godot il est vieux, à barbe
blanche, page 130, comme est vieille l'espérance des
hommes), sous le fouet de son ange imbécile et sans mémoire
(le garçon).
- le paradigme de l'existence vidée de sens par l'espoir.
-
amitié
malgré tout!
- Ils sont embarqués, c'est la condition humaine et le
solidarité qu'elle induit.
- Chacun à sa manière souffre d'un manque éprouvé, ce
qui rapproche.
- L'amitié sentiment de contentement dont on saisit mal
l'origine (page 91)
- l'amitié comme tendresse (page 44)
- L'amitié qui permet d'échapper au sentiment de solitude
(page 19)
- L'amitié pour ne pas penser! (page 87 et 93)
- L'amitié pour un peu d'entraide (page 97)
-
Et
surtout l'amitié "pour donner l'impression
d'exister" (page 97)
Comme si,
l'existence s'affolait sur la tige de l'amitié. |