LES
MARGES
"Toute
amitié humaine commence avec le sentiment non pas
seulement d'une double présence de deux êtres l'un
à l'autre, mais avec le sentiment d'une autre Présence
qui la fonde." Lavelle, Le mal et la souffrance,
page 224.
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Qu'il y
ait eu amitié entre deux êtres aussi différents que Claudel
et Gide, entre Oedipe et Thésée, un enfant de l'espérance
tourné vers l'invisible et un enfant de la terre qui se déclare
tel avant sa mort, cela nous oriente vers le problème du
fondement de l'amitié entre un Schiller et un Goethe, entre l'héroïsme
de l'un et la sérénité toute humaine de l'autre.
L'affirmation de Lavelle nous oriente vers une solution, en nous
ouvrant à un mystère: le fondement naît de la foi, cette part
d'irréductible que chacun porterait en soi et qui l'orienterait
vers un amour transcendant fondateur de l'amitié: Dieu. Cela
permettrait alors de mieux appréhender comment la communication
devient transmission.
A
Claudel qui lui avait écrit, après la mort de Gide, pour lui
proposer une rencontre, pour s'entretenir de l'âme de Gide,
Madame André Gide répondait avec une grandeur d'âme, une
hauteur et une pureté semblable à celle d'Antigone, qui remet
Paul Claudel à sa place et le rappelle à ses propres valeurs.
Cher
monsieur Claudel,
Votre lettre m'est un fidèle témoignage de la fidèle
amitié en Dieu que vous portez à mon mari; cette
amitié m'a toujours profondément touchée.
J'ai éprouvé, en effet, beaucoup
d'angoisse devant ce long et lointain séjour dans
l'Afrique noire, qu'il a souhaité, -mais si j'avais
plus de foi je ne me tourmenterais pas ainsi. Tous
ceux qui aiment André Gide, comme mérite d'être aimée
cette âme très noble, doivent prier pour lui. Je le
fais chaque jour, - et vous aussi, n'est-ce pas? C'est
ainsi, je crois, que, pour son plus grand bien, nous
nous rencontrons le mieux.
Madeleine André Gide
(Correspondance Claudel Gide, page 243)
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On pèsera
l'expression "fidèle amitié en Dieu" qui permet de
renvoyer Claudel à ses convictions, à sa foi et à son devoir.
A une
rencontre humaine proposée par Claudel, elle oppose une
rencontre spirituelle dans l'amitié et ce qui la fonde, la foi,
à cette Présence évoquée par Lavelle.
Joseph
Llapasset |