"La plupart
semblent croire qu'ils sont libres dans la mesure où il leur est
permis d'obéir à leurs penchants et qu'ils abandonnent de leur
indépendance dans la mesure où ils sont tenus de vivre selon la
prescription de la loi divine. La moralité donc, et la religion,
et, sans restriction, tout ce qui se rapporte à la force d'âme,
ils les prennent pour des fardeaux qu'ils espèrent déposer après
la mort, pour recevoir le prix de la servitude; à savoir de la
moralité et de la religion: et ce n'est pas cet espoir seul, mais
aussi et surtout la crainte d'être punis par d'horribles
supplices après la mort, qui les poussent à vivre selon la
prescription de la loi divine, autant que le permettent leur
petitesse et leur âme impuissante. Et si les hommes n'avaient pas
cet espoir et cette crainte, s'ils croyaient au contraire que les
esprits périssent avec le corps, et qu'il ne reste aux malheureux
épuisés par le fardeau de la moralité aucune survie, ils
reviendraient à leurs nature. Ils, voudraient tout gouverner
selon leurs penchants et obéir à la fortune plutôt qu'à eux-mêmes.
Ce qui ne me paraît pas moins absurde que si un homme, parce
qu'il ne croit pas pouvoir nourrir éternellement son corps de
bons aliments, préférait se saturer de poisons mortels; ou bien,
parce qu'il voit que l'esprit n'est pas éternel ou immortel, préfère
être dément et vivre sans la Raison: absurdité telle qu'elle mérite
à peine d'être relevée."
Spinoza, l'Ethique
(livre 5).
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= Lisons
le texte ensemble: suite
et
si...: supposons que.
Spinoza fait une hypothèse qui est le point de départ d'un
raisonnement aboutissant à une conclusion.
n'avaient
pas: pour ne pas avoir de
crainte de ce qui se passera après la mort ou d'espoir, il
suffirait de croire que l'esprit et le corps sont mortels (la
leçon d'Épicure a été retenue. Il n'y a rien à craindre ou à
espérer,d'une récompense ou d'un châtiment après la mort,
puisque l'âme est matérielle: elle se décompose).
Au
contraire: de ceux qui crient
à l'immortalité de l'âme et préparent une vie après la vie.
et
que...: conséquence: si
l'esprit périt avec le corps, ceux qui ont sacrifié une part de
leur indépendance n'auront rien en échange. C'est comme s'ils
avaient acheté du vent.
ils
reviendraient à leur nature:
libérés de l'espoir et de la crainte, ils obéiraient à leurs
appétits.
=> Remarquons
que ce n'est pas ce que souhaite Spinoza. Dans l'un et dans
l'autre cas, la conduite est irrationnelle: le salut est dans la
connaissance et non dans l'esclavage, que ce soit l'esclavage de
la morale et de la religion close, ou que ce soit dans l'esclavage
par rapport aux appétits.
ils
voudraient: autre
conséquence: ils vont être très malheureux car ils demandent
l'impossible. Ils se considèrent comme la mesure de toute chose;
c'est eux qui en fonction de leurs appétits évaluent et
commandent.
tout
gouverner: que tout se plie
à leurs appétits en particulier, véritable folie, ce qui ne
dépend pas d'eux.
obéir
à la fortune: puisqu'ils ne préparent plus l'avenir, ils
se confient au hasard, à la bonne fortune, à la chance.
=> Comprenons
que pour Spinoza, il est aussi inconséquent de s'exprimer dans
l'ascèse que de "se lâcher" dans l'esclavage des
appétits naturels.
moins
absurde: c'est au moins aussi
absurde que les deux exemples qui suivent.
si:
un homme se nourrissait de poisons mortels parce qu'il sait qu'il
ne pourra pas éternellement nourrir son corps d'un bon aliment.
se
saturer: se goinfrer:au point
que plus rien ne peut rentrer...
ou
bien: introduit le deuxième
exemple d'absurdité.
il
voit: il saisit, il comprend
par raison évidente.
n'est
pas éternel: que l'esprit
étant matériel, il périra avec le corps.
éternel
ou immortel: éternel, qui
est de tout temps, qui n'a pas de naissance et qui n'a pas de
mort. Immortel, qui a une naissance (création, naissance) mais
qui ne mourra pas.
dément:
désigne la folie, l'absence de raison.
sans
la raison: sans la connaissance
et la maîtrise de soi que donne l'usage de la raison.
absurdité:
qui viole les règles de la logique, qui et contradictoire.
à
peine: parce que cela va de
soi pour tous ceux qui utilisent leur raison.
Page
1 et page 2
Bonne
continuation
Joseph Lapasset ©
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